Vercors Lait (38) : le Bleu du Vercors épris de liberté

La coopérative Vercors Lait fête cette année les 20 ans de son AOP Bleu du Vercors Sassenage et les 15 ans de son émancipation de Lactalis. Après quelques bleus au démarrage, la coop investit, embauche et installe des jeunes.

Ne comptez pas sur Philippe Guillioud, directeur de Vercors Lait, pour dire du mal des grosses coopératives laitières. « Quand une petite coopérative disparaît du paysage pour cause de gestion défaillante, les éleveurs sont bien contents de trouver une grosse structure acceptant d'aller collecter le lait dans les territoires », déclare-t-il. Le dirigeant est bien placé pour évoquer les affres de la gestion d'une entreprise, petite ou grosse, agroalimentaire ou pas. Lorsqu'il prend la tête de Vercors Lait en 2007, la coop affiche une perte de 600 000 € accumulée entre 2003 et 2007, pour un chiffre d'affaires de 3 M €. 2003, c'est l'année où la coopérative s'était affranchie de Lactalis, qui souhaitait se désengager de la laiterie. Le conseil d'administration avait saisi l'opportunité de se réapproprier l'outil situé à Villard-de-Lans (Isère), depuis ses origines en 1956. La séparation et la cession s'opèrent en bon termes et la situation est alors saine, avant de se dégrader rapidement. « La coopérative a failli sur l'appréhension du commerce, du management et du marché de l'agroalimentaire », jauge le directeur. « C'est le talon d'Achille de certaines coopératives. On ne dirige pas une coopérative laitière fromagère comme on dirige une exploitation de 50 vaches ».

Chiffre d'affaires triplé en 10 ans

Le nouveau directeur remet tout à plat : coûts de revient, tarifs, politique commerciale, compétences, qualité. Résultats : en 2017, le chiffre d'affaires pointe à 7 M € auxquels s'ajoutent 2 M € de ventes sur deux magasins filialisés situés en banlieue de Grenoble (Isère) et à Romans-sur-Isère (Drôme). La vente directe, à laquelle participe le troisième point de vente attaché au siège, assure 30 % du chiffre d'affaires. Le solde se répartit entre grossistes, réseaux bio et GMS. La recette ? Un taux de transformation de 90 % de la collecte (contre 35 % en 2007) et la mise en avant du lait de montagne et du territoire où il est produit, selon un mode extensif et respectueux de l'environnement.  « Certains vendent du lait en poudre en Chine, c'est une vision court-termiste de mon point de vue », juge le directeur, jetant un grumeau dans les tours de gros industriels. « Mais tous les éleveurs ne sont pas disposés non plus à accepter les contraintes de notre cahier des charges AOP Bleu du Vercors Sassenage, proscrivant l'ensilage et produit par trois races que sont l'Abondance, la Montbéliarde et la Villarde. Faire du lait fromager, c'est un état d'esprit ». L'AOP, obtenue il y a 20 ans, participe significativement au salut de Vercors Lait. Elle représente plus de 50 % de la production totale de fromages (600 t/an), aux côtés des Saint-Marcellin, Saint-Félicien, Brique de Vercors, tomme...

Des JA mais une pénurie de salariés

Le lait bio, produit à hauteur de 1,6 M l, sur un total de 6,1 M l, explique aussi la valorisation. Car du côté des volumes collectés, en revanche, 500 000 l se sont évaporés en 10 ans. Et pas dans des tours de séchage, on l'aura compris. Le directeur relativise. « La courbe est en train de s'inverser, nous avons procédé à cinq installations de jeunes au cours des 24 mois passés. Nous avons toujours été excédentaires en lait. Et puis la phase de croissance à deux chiffres est derrière nous ». Le directeur s'inquiète davantage de la difficulté à recruter du personnel. En 10 ans, les effectifs sont passés de 12 à 32 salariés, non sans mal pour attirer de nouvelles recrues. « C'est le lot commun des entreprises dans le secteur de l'industrie, où un emploi sur trois n'est pas pourvu », déplore Philippe Guillioud.

Prix et ristournes

Recruter (malgré tout), investir (voir encadré), installer, se développer, sans oublier l'essentiel : rémunérer des éleveurs à la hauteur des savoir-faire acquis et des choix qualitatifs opérés. Des prix ? Compter 385 €/1000 l (contre un prix moyen régional 325 €/1000 l) et 450 €/1000 l en bio l'an passé. Depuis quelques années, à la faveur des résultats, la coop verse une ristourne de 5 à 6 €/1000 l, en dépit du passif 2003-2007 pas encore complètement effacé. « Il faut envoyer des signes à tout le monde, aux coopérateurs et aux financeurs », soupèse Philippe Guillioud.