« En 20 ans de semis direct, j’ai peut-être créé 1 millimètre de sol »

Dans le Gers, Christian Abadie s’est lancé dans le semis direct pour contrer la sensibilité des boulbènes à l’érosion. En dépit de résultats tangibles, l’agriculteur se garde de tout triomphalisme, trop conscient d’être sous la gouverne d’un climat toujours plus insaisissable et d’un herbicide toujours incontournable.

« Voyez la rivière en bas du champ, c’est le Bouès et si elle porte ce nom, ce n’est pas un hasard, parce que chaque fois qu’il pleut, elle a la couleur de la boue ». L’érosion : tel est a été l’élément déclencheur de la conversion de Christian Abadie au semis direct. C’était il y a exactement vingt ans. « Quand je me suis installé en 1983, on était aux alentours de 3% de matière organique et en 2000, on était tombé à 1,5%, en dépit des apports de fumier car il y a toujours eu des animaux sur la ferme », explique Christian Abadie. A Estampes (Gers), l’agriculteur exploite avec son frère Éric 107 ha de boulbènes, des limons à faible taux d’argile, sur lesquels l’eau glisse à la première pluie venue. « Dans le Gers, des zones blanches commencent à apparaître sur les coteaux et les semi-coteaux. C’est le calcaire qui affleure. La terre est partie », se désole-t-il.

L’orge mélangée à de la féverole est récoltée 10 jours avant maturité et conservée par voie humide, avant de faire place à un soja ou un maïs
L’orge mélangée à de la féverole est récoltée 10 jours avant maturité et conservée par voie humide, avant de faire place à un soja ou un maïs

Trois récoltes en deux ans

Lui a cessé de travailler le sol. En 2021, son système cultural est 100% dédié à l’engraissement de son cheptel constitué de 400 femelles de race Blonde d’Aquitaine, qui ont remplacé les vaches laitières en 2018. L’orge associée à de la féverole est implantée à l’automne et récolté fin mai dix jours avant maturité. Le fourrage est conservé sous forme humide. Le lendemain de la récolte, du soja ou du maïs est implanté. Le soja sera récolté en plante entière tandis que les épis de maïs seront ensilés. Ce système assure trois récoltes en deux ans et la quasi-autonomie alimentaire du troupeau. « Cette année, on ne fera pas la soudure, avoue l’éleveur. Normalement, on peut miser sur 100 mm d’eau au cours des mois de juillet-août mais pas 2020 ».

La production végétale de l’exploitation sert intégralement l’engraissement de 400 femelles de race Blonde d’Aquitaine
La production végétale de l’exploitation sert intégralement l’engraissement de 400 femelles de race Blonde d’Aquitaine
"Sur mon exploitation, on a pu quantifier une économie d’eau comprise entre 20% et 30%"

Même en agriculture de conservation, la capacité de rétention en eau et la faculté d’exploration racinaire ne font pas tout. Christian Abadie a trouvé à bon compte des pommes terre pour compenser au moins partiellement le manque. L’exploitation, qui est en capacité d’irriguer les deux tiers de sa sole, est engagée dans le programme de recherche Bag’Ages, piloté par l’INRAE et financé par l’Agence de l’eau Adour-Garonne. Il vise à qualifier l’incidence des pratiques agroécologiques sur le stockage d’eau dans les sols et le transfert d’eau et de solutés polluants. « Sur mon exploitation, on a pu quantifier une économie d’eau comprise entre 20% et 30% en comparaison de parcelles voisines conduites en conventionnel », souligne l’exploitant. Maire de sa commune, Christian Abadie n’est pas insensible à la gestion quantitative et qualitative de l’eau.

Le taux de matière organique remonté à 3%

Pour autant, le semis direct n’est pas un petit Bouès tranquille. « Même s’il y a des aides comme dans le temps les CTE et aujourd’hui les MAE, en semis direct, la prise de risque est toujours assumée par les agriculteurs », regrette Christian Abadie. « Je l’ai compris très tôt au contact d’experts tel que le Chilien Carlos Crovetto ou, plus près de chez nous, du regretté Lucien Séguy. En matière de semences par exemple, aucun semencier ne vous aiguillera sur une variété propice au semis direct. Quand je reçois des groupes ou quand je donne des formations, je prends toujours soin de dire qu’il faut opérer la transition en douceur, sans escompter de bénéfices palpables à court terme ». L’agriculteur ne mésestime pas non plus le fait que la culture reste inféodée au glyphosate.

Rouleau Faca et semoir direct : le parc matériel est réduit à la portion congrue
Rouleau Faca et semoir direct : le parc matériel est réduit à la portion congrue
"Les crédits carbone, il va falloir faire vite car je suis proche de la retraite"

Au plan agronomique, Christian Abadie peut se satisfaire d’avoir fait remonter le taux de matière organique à 3% et d’avoir amélioré la fertilité de ses parcelles, le tout assorti d’une économie sur les ressources (eau, engrais, carburant) et d’une baisse des impacts environnementaux. « Jusqu’à preuve du contraire, la technique reste toutefois suspendue au sort du glyphosate », analyse l’agriculteur. Une forme de reconnaissance viendra peut-être avec les crédits carbone. « Cela fait vingt ans que l’on en parle, il va falloir faire vite car je suis proche de la retraite, ironise-t-il. J’espère que le dispositif ne se limitera pas aux objectifs et qu’il récompensera aussi les acquis. Il faut 2000 ans pour créer 10 centimètres de sol. En 20 ans, j’ai peut-être créé 1 millimètre de sol ». Christian Abadie ou les pieds sur terre. Un peu plus de terre.