Le carbone des sols sous l’œil des satellites

L’Inrae a mis en évidence un lien direct entre la durée annuelle de couverture végétale des sols cultivés et l’accumulation de carbone en grandes cultures. L’indicateur Soccrop est de nature à aiguiller les pratiques agricoles et à flécher les fonds publics (Pac) et privés (Label bas carbone) soutenant l’atténuation du changement climatique.

Premièrement : couvrir les sols. Deuxièmement : couvrir les sols. Troisièmement : couvrir les sols. Telle est en substance la ligne de conduite à suivre pour que l’agriculture apporte sa contribution à l’atténuation du changement climatique. Son potentiel n’est pas anodin. Selon l’étude de faisabilité « 4 pour 1000 » réalisée par l’Inrae en 2019, les sols agricoles réservent un potentiel moyen de stockage additionnel de carbone de +3,3 ‰ par an toutes surfaces confondues, pointant à +5,2 ‰ en grandes cultures.

« En appliquant une couverture végétale vivante à 96% des terres cultivées, l’agriculture contribuerait à compenser annuellement 2,3% des émissions de gaz à effet de serre, déclare Eric Ceschia, directeur de recherche Inrae au Cesbio (Centre d'études spatiales de la biosphère). Outre la séquestration de carbone, la couverture des sols induit un second bénéfice climatique, se traduisant par une réduction des flux de chaleur sous l’effet d’une augmentation de la réflectance du rayonnement solaire. A cela s’ajoutent des bénéfices sur la biodiversité, sur la réduction de l’érosion, sur la qualité de l’eau ou encore sur la réduction des fuites de nitrates ».

Soccrop, le chainon manquant

Pour faire le lien entre les pratiques agricoles vertueuses (couverts, intercultures, agroforesterie...) et leur incidence sur le stockage de carbone et par ricochet sur le climat, il manquait un indicateur à la fois fiable, pertinent et relativement peu couteux à mettre en œuvre. Cet indicateur, c’est Soccrop, fruit d’une collaboration entre l’Inrae et Planet A, le hub de l’agriculture innovante et durable porté par la ville de Châlons-en-Champagne (Marne).

La solution est venue de Sentinel 2, la nouvelle génération de satellites de l’Agence spatiale européenne (Esa), capable d’évaluer la couverture végétale des sols en continu grâce à des balayages tous les deux à cinq jours, avec une haute résolution à dix mètres. Grâce aux données de l’étude nationale « 4 pour 1000 » et à un réseau de stations expérimentales, l’Inrae a pu établir un lien entre la durée annuelle de couverture végétale des sols cultivés et l’accumulation de carbone dans le sol. C’est l’objet de l’indicateur Soccrop.

Les résultats de cette étude feront l’objet d’un rapport dans le courant de cette année. « A l’échelle de l’Union européenne, cet indicateur basé sur la relation entre couverture végétale et accumulation de carbone dans le sol pourrait être implémenté d’ici un an, indique Eric Ceschia. L’étape d’après, consistant à générer un bilan carbone, requerra quelques années supplémentaires et nécessitera l’intégration de données telles que les apports d’engrais organiques et les exportations, ce qui supposera le consentement des agriculteurs ».

Un support aux Maec et aux PSE

L’indicateur Soccrop a vocation à établir une cartographie d’envergure mondiale des stocks de carbone présents dans les sols agricoles, sous l’égide du consortium « 4 pour 1000 ». En France et en Europe, l’indicateur devrait permettre aux agriculteurs de jauger l’incidence de leurs pratiques sur l’évolution du stock de carbone dans les sols. Il constitue potentiellement l’indicateur tout désigné pour cibler des aides de la Pac, qu’il s’agisse des Mesures agro-environnementales et climatiques (Maec) ou des Paiements pour services environnementaux (PSE) qui pourraient être attachés aux futurs éco-régimes.

"J’espère que la démarche pourra constituer le support à des Maec pour la Pac en cours de négociation"

« Ce programme de recherche a reçu l’assentiment de la Commission européenne, explique Philippe Mauguin, PDG de l’Inrae. L’Agence de services et de paiement y a également été associée. Nous allons présenter les résultats de cette étude d’ici à l’été prochain. J’espère que la démarche pourra constituer le support à des Maec pour la Pac en cours de négociation ».

Un support aux crédits carbone

L’indicateur Soccrop pourrait aussi se mettre au service du Label bas carbone (LBC) et du marché volontaire de la compensation carbone, en apportant aux contributeurs (entreprises, collectivités...) des gages supplémentaires quant aux leviers activés par les agriculteurs.

En décembre dernier, les instituts des grandes cultures (Arvalis, Terres Inovia, ITB, ARTB) et Agrosolutions ont soumis au ministère de la Transition écologique une méthode sectorielle, qui devrait déboucher prochainement sur un label LBC. Cette méthodologie est notamment attendue par les adeptes de l’Agriculture de conservation des sols (ACS), dont les capacités additionnelles de stockage de carbone sont limitées du fait leurs pratiques déjà poussées (couverture végétale maximale, travail du sol minimal).

Le label bas carbone tiendra-t-il compte de cet état de fait initial ? A l’occasion d'une conférence de presse dédiée à l’indicateur Soccrop, le PDG de l’Inrae s’est voulu rassurant. « Qu’il s’agisse des soutiens publics comme privés, les aides doivent récompenser les efforts d’enrichissement du sol en carbone et les efforts de préservation de taux de carbone déjà élevés, a plaidé Philippe Mauguin. La remarque vaut pour les prairies permanentes qui réservent potentiellement peu de marge d’additionnalité. S’agissant de la Pac, le mécanisme de soutien devrait reposer sur un engagement de moyens de la part de l’agriculteur, ce qui permettrait de s’affranchir des accidents liés à des défaut de pousse de couverts par exemple ou encore à des distorsions en termes de capacité de stockage d’un sol ou d’une région à l’autre. L’indicateur de couverture du sol Soccrop, facilement implémentable, constituerait un élément de suivi des efforts des agriculteurs, au service du bien commun ».

Concernant la labellisation bas carbone, Jean-François Soussana, vide-président de l’Inrae, a apporté de son côté un bémol quant à la valorisation des crédits carbone. « Il y a un talon d’Achille qui est celui de la permanence du stock de carbone, a-t-il indiqué au cours de la même conférence de presse. Rémunérer des agriculteurs pendant cinq ans, c’est très bien, mais il faudrait des engagements sur une durée de 20 ou 30 ans, ce qui est très difficile contractuellement. Ce défaut pourrait entraîner des décotes des crédits carbone ».