F. Descrozaille : « Les agriculteurs doivent s’approprier la culture du risque »

Le député Frédéric Descrozaille (LREM) a remis au ministre de l’Agriculture son rapport sur la gestion des risques en agriculture, clarifiant le rôle assigné aux assurances climatiques et aux calamités. Il invite les agriculteurs à s’approprier la culture du risque et l’État à avancer sur le chantier de l’eau. Le député s’est remis à l’ouvrage, en s’attaquant au droit de la concurrence dont pâtit fortement l’économie agricole. Entretien.

Votre rapport a-t-il été influencé par l’épisode de gel massif des 7-10 avril ?

Frédéric Descrozaille : le gel n’a pas orienté mes travaux car l’essentiel de axes du rapport était déjà défini. La concomitance avec le gel en a renforcé l’acuité et acté la nécessité d’un renforcement de la solidarité nationale à l’égard de l’agriculture et des agriculteurs.

Qu’entendez-vous par « renforcement de la solidarité nationale » ?

Frédéric Descrozaille : depuis 70 ans, nous consommateurs, nous sommes les premiers bénéficiaires des gains de productivité réalisés par les agriculteurs. Aujourd’hui, nous avons de nouvelles exigences vis-à-vis de notre agriculture et de notre alimentation qui percute ce modèle qui est un modèle de baisse des prix sans compromis sur la qualité et la diversité. Aujourd’hui, on réclame de nouveau des exploitations de polyculture-élevage, des circuits courts, une traçabilité blindée, des produits sous signe de qualité etc. : ça va coûter plus cher, il faut que la Nation l’assume. La solidarité nationale doit aussi jouer à l’endroit des dispositifs de gestion de risque qui sont eux percutés par le changement climatique. J’évalue l’effort annuel à 800 millions d’euros que l’on pourrait loger dans un Fonds de solidarité agricole.

Les agriculteurs doivent-ils eux aussi faire des efforts ?

Frédéric Descrozaille : quand je propose de taxer à 11% contre 5,5% les contrats d’assurances agricoles pour abonder le Fonds national de gestion des risques en agriculture, je demande un effort aux agriculteurs. Idem lorsque je propose de déclencher les calamités agricoles au-delà de 50% de pertes de récolte contre 30% aujourd’hui, je demande un effort. Je leur demande aussi de s’assurer sur ce qui est assurable. Mes propositions, s’agissant des taux de seuil, de franchise et de subvention, sont de nature à les y inciter, au même titre que l’adossement à la DEP, la Déduction pour épargne de précaution. Je propose également que le Fonds de solidarité agricole indemnise l’écart entre la référence olympique et la référence nationale, car je considère que cet écart est le fruit du dérèglement climatique et qu’il peut être apparenté à une catastrophe naturelle.

Sortir les prairies des calamités agricoles, n’est-ce pas prendre le risque de fragiliser un peu plus l’élevage ?

Frédéric Descrozaille : aujourd’hui, les prairies peuvent être assurées tout en étant éligibles aux calamités agricoles. C’est à la fois malsain et absurde. Pour ne pas déstabiliser l’élevage, dans ma proposition de rendre les calamités agricoles accessibles à toutes les cultures au-delà de 50% de pertes de récolte, je ménage une phase transitoire et progressive afin de ne pas déstabiliser le secteur. S’agissant des prairies, je préconise la sortie du régime indemnitaire au profit d’une logique indicielle reposant sur des observations satellitaires à très haut niveau de corrélation. Cette base indicielle permettrait de simplifier et d’objectiver une intervention publique plus légitime et plus robuste, sans s’interdire des expertises complémentaires sur le terrain

Vous prônez « le déploiement de l’acculturation au risque », de quoi s’agit-il ?

Frédéric Descrozaille : la pratique de l’analyse des risques est globalement insuffisante au sein des entreprises agricoles. Dans leur ensemble, les agriculteurs ont tendance à sous-estimer les risques moyens et à surestimer les risques lourds. A la décharge des agriculteurs, l’évaluation des risques et la décision d’en transférer sur des outils dédiés relève de la stratégie d’entreprise et requiert une réelle expertise. En conséquence, j’estime que les agriculteurs doivent être davantage formés, davantage sensibilisés et davantage formés sur ces questions. Le financement de diagnostics « gestion des risques » dans le cadre du Plan de relance témoigne de l’importance accordée à cet enjeu par le gouvernement.

Dans votre rapport, vous faites une large place à la question de l’eau ?

Frédéric Descrozaille : l’incidence du phénomène de sécheresse, dont la fréquence et l’ampleur sont objectivement inquiétantes, rend compte tant du déséquilibre budgétaire dont souffre le régime des Catastrophes naturelles que de celui de la Caisse centrale de réassurance. Il est indispensable de planifier un chantier national d’appréhension de cette question de la gestion de la ressource en eau et des usages de l’eau, afin de simplifier le schéma institutionnel actuel qui fait intervenir de nombreux acteurs et de sécuriser juridiquement les décisions d’investissement, d’aménagement et d’intervention par bassins versants ou ensembles cohérents de bassins versants. L’approche interministérielle de cette question, ayant pour objectif une clarification et une simplification des différents rôles des acteurs et des schémas adoptés, permettant de sécuriser les projets et d’apaiser les tensions par une définition des principes de gouvernance territoriale semble incontournable. On ne peut pas ne rien faire. L’irrigation consomme 1,7% des 200 milliards de m3 d’eau dite renouvelable. On ne vas pas bousculer la magnificence du paysage française en passant à 3 ou 4%.

Vos propositions garantissent-elles l’accès aux assurances climatiques pour tous les agriculteurs ?

Frédéric Descrozaille : l’articulation que je propose entre les assurances climatiques et les calamités agricoles, ainsi que leurs modalités intrinsèques, ont vocation à servir toutes les productions et tous les producteurs. Cependant, je suis parfaitement conscient que les exploitations qui ne dégagent pas de revenus suffisamment stables, ne serait-ce que pour se payer sinon pour épargner, ont potentiellement moins accès à l’assurance climatique. On touche là la question du revenu agricole, qui n’est pas dans le champ des produits assurantiels. La question du revenu m’interpelle depuis la genèse de la loi Egalim. J’affirme que nos instances en matière de droit de la concurrence ne connaissent pas suffisamment l’économie agricole pour interpréter ce que dit la Cour de justice de l’UE en la matière, à savoir que les dérogations accordées au secteur agricole par le droit communautaire depuis le traité de Rome se justifient quand les actions d’une organisation de producteurs ou d’une organisation interprofessionnelle sont proportionnées à l’objectif poursuivi. En conséquence, je préconise la sortie l’agriculture du champ de compétences de la Haute autorité et la création d’une instance dédiée à la dérogation du droit de la concurrence dans le secteur agricole.