Covid-19 et fruits et légumes frais : une situation hors normes

Après une année 2019 somme toute dans la moyenne, malgré des conditions météorologiques très particulières, et alors que la filière se préparait à des campagnes précoces pour les produits de printemps, la situation inédite de confinement de la population a tout changé pour elle.

La fermeture des restaurants, des cantines, de beaucoup de marchés forains a privé de débouchés une partie de la filière, du producteur au grossiste. Certains consommateurs se sont reportés davantage sur les circuits courts et notamment les ventes à la ferme. La grande distribution et les circuits de proximité, avec une part croissante en drive, ont dans un premier temps écoulé des tonnages de pommes de terre, carottes, pommes, produits de consommation courante qui se conservent bien, au milieu d'achats plus conséquents de pâtes, riz et autres biens stockables dans la durée.

Les produits saisonniers et périssables, comme l'asperge ou la fraise, n'ont pas trouvé leur place dans ce contexte exceptionnel et à une époque de l'année où les produits d'importation sont très présents. La phase suivante n'a pas été non plus très positive pour la filière, puisqu'il s'agissait d'achats plus limités, moins fréquents, et tournés vers des produits basiques.

Les produits bruts rassurent

Les distributeurs ont entendu les messages persistants et ont largement communiqué sur des initiatives pour mettre en avant les fruits et légumes frais d'origine France et annoncer qu'ils cessaient les importations. Les marchés de l'asperge, de la fraise, de la tomate ont ainsi connu une amélioration après une période de crise, et ont maintenant la possibilité de décliner des gammes plus étendues.

Les changements liés au confinement ne sont pas tous négatifs pour les fruits et légumes frais : ceux-ci sont surtout consommés à domicile, et devraient donc mécaniquement être davantage consommés pendant cette période. De même on peut penser que les recettes faites à la maison, comportant souvent des fruits ou des légumes, sont une activité adaptée à la situation pour certaines familles. Et que, dans un contexte d'inquiétude sanitaire, le retour à des produits bruts rassure.

Emballages plastiques recherchés

En revanche, la moindre fréquence des achats a, elle, un impact défavorable. Il en est de même de la crainte de contamination liée aux nombreux produits en vrac : alors que la réglementation française va bannir les emballages plastique des magasins pour les fruits et légumes frais dans moins de deux ans, ce sont aujourd'hui les unités de vente consommateur et les barquettes filmées qui sont achetées en priorité, soit en magasin soit en drive.

Il est donc important pour la filière, qui avait commencé à déstocker ses emballages plastique, de pouvoir sans délais s'approvisionner en conditionnements en quantités accrues, alors qu'elle craint d'en manquer...  et essentiel qu'elle puisse continuer à disposer d'une logistique efficace. Ces produits sont périssables et la France est loin de l'autosuffisance pour nombre d'entre eux. Or, si les rayons ne sont pas garnis en temps utile, les ventes et les produits seront perdus.

Reste le sujet de la main d'œuvre... L'essentiel est à venir : les récoltes et les travaux de printemps ont une à deux semaines d'avance, et la plupart des travailleurs saisonniers recrutés ne pourront pas franchir les frontières. La production perdue ou les travaux non effectués ne se rattrapent pas. Il se trouve que c'est la filière fruits et légumes qui a le plus besoin de main d'œuvre, et qu'elle est donc la première concernée par l'initiative « des bras pour ton assiette », qui vise à recruter des saisonniers parmi les personnes en situation de chômage partiel.

Valorisation du travail saisonnier

C'est une chance sur le plan sociétal, parce que cette filière met en marché des produits non transformés et faciles à identifier en magasin. Pour les citoyens qui vont s'engager et persévérer dans ces tâches inhabituelles pour eux, c'est une occasion de découvrir un pan de l'agriculture, si peu connue du grand public et parfois si décriée. Loin des discours théoriques, des préjugés et des campagnes de dénigrement, ils pourront vivre des situations de travail ordinaires avec des employeurs qu'ils n'avaient sans doute pas l'occasion de côtoyer.

Et puis, dans ces circonstances inédites, est-il interdit de rêver ? rêver qu'à l'issue de cette expérience, le travail physique soit moins mal considéré ? que certains citoyens aient touché du doigt l'utilité du travail des agriculteurs, sa densité, le lien de l'intervention humaine avec la qualité des produits ? que certains comprennent à quel point cette filière a besoin de gens pour fonctionner, quand 50% du prix de revient des produits est constitué de charges salariales ? et que dans un pays où le droit du travail est appliqué et où le salaire minimum est élevé par rapport à ses voisins, les fruits et légumes reviennent plus cher ? que ces fruits, ces légumes, sont bons quand ils sont frais, et qu'il vaut donc mieux les acheter plus souvent dans des points de vente bien tenus ? Et pourquoi pas, à l'heure où chacun nous prédit que rien ne sera plus jamais comme avant ?

 Article extrait de PRISME : L'analyse de la conjoncture et de l'actualité agricole et agroalimentaire- Avril 2020