Gel, chaleurs, sécheresse : quand le dérèglement climatique se matérialise

Les gelées tardives comme celles survenues début avril sont-elles vouées à se répéter dans les années à venir ? Serons-nous régulièrement soumis à une alternance de chaud et de froid ? Le risque de sécheresse agricole est-il à craindre pour les prochains mois ? Entretien avec Ludovic Lagrange, météorologiste chez DTN.

Comment qualifier les épisodes de froid et de gel survenus pendant la première moitié du mois d'avril ?

Ludovic Lagrange : La période de froid de la première moitié du mois d’avril a été une véritable anomalie climatique du point de vue du gel. En effet, avril 2021 aura été le mois d’avril avec le plus de gelées observées à l’échelle nationale depuis 1975.

De nombreux records mensuels de froid ont été battus, pour certaines stations durant deux voire trois jours consécutifs (Châlons-sur-Saône par exemple). D’autres stations ont battu leur nombre de jours de gel pour un mois d’avril (9 jours pour Bergerac et Rennes, 10 jours pour Châteauroux, et la palme est détenue en plaine par la ville de Montluçon avec 17 jours de gel).

On peut dire que cet épisode est exceptionnel à deux titres : d’abord parce qu’il s’inscrit dans une tendance de fond associée à un net radoucissement des mois d’avril. C’est en effet le mois qui s’est le plus radoucit au cours des 50 dernières années en France avec une moyenne qui est passée de 10°C durant les années 1970 à 12,5°C entre 2010 et 2020 !

"Ce mois d'avril 2021 est le plus froid depuis 1994"

D’autre part parce qu’il a succédé à un coup de chaleur hors norme du 29 au 31 mars. Cette période de chaleur a été tout à fait exceptionnelle, et a eu comme conséquence de favoriser un réveil précoce de la végétation. L’état d’avancée des végétaux est celui qu’il aurait dû être fin avril/début mai pour les arbres fruitiers en particulier. Le choc subit par la végétation et nos cultures a été exceptionnel.

Globalement, ce mois d’avril 2021 présente une anomalie de température déficitaire avec un écart à la normale d’environ -1°C, ce qui en fait le mois d’avril le plus froid depuis 1994.

Un tel enchaînement de vagues de froid après des records de chaleurs est-il amené à se répéter dans les années à venir ?

Ludovic Lagrange : Dans un contexte de réchauffement climatique, la France pourrait en effet être plus régulièrement soumise à des flux méridiens. Aussi, les gelées tardives sont à redouter et pourraient avoir des conséquences dramatiques sur notre agriculture. Car dans un contexte d’hivers de plus en plus doux, un débourrement précoce va s’observer, exposant aux risques de gel tardifs l’ensemble de nos cultures à l’image de ce mois d’avril 2021.

Pour en comprendre les raisons, ouvrons une petite parenthèse technique : dans un contexte de réchauffement global, les températures se réchauffent plus vite aux pôles qu’aux tropiques (du fait de l’albedo et de la capacité de la glace à se changer en eau et de ne plus réfléchir la lumière mais de l’absorber). Aussi, la différence de températures entre le pôle et les tropiques va s’affaiblir. Ce phénomène a notamment pour conséquence la modification du Jet-stream, ce courant de vent rapide d’altitude situé entre 7 et 16 kilomètres au-dessus du niveau de la mer.

Quand la différence de température s’amoindrit, le courant Jet ralentit, il devient moins linéaire et forme des ondulations qui peuvent conduire à deux types de situations : d’une part, une situation de blocage, pendant laquelle les conditions météorologiques vont se figer pendant une période inhabituellement longue, favorisant l’absence de pluies. D’autre part, une alternance de flux de Nord et de Sud. Dans les méandres du Jet, des flux plus méridiens peuvent s’observer, alternant successivement des records de douceur ou de chaleur par flux de sud et des records de froids par flux de nord.

Quel est le bilan du mois en matière de précipitations ? Le risque de sécheresse agricole est-il à craindre ?

Ludovic Lagrange : Si le froid a dominé au cours de ce mois d’avril c’est en raison, comme on l’a vu précédemment, de la présence de hautes pressions (situation de blocage) sur les Iles britanniques qui ont véhiculé sur le pays cet air froid arctique. Mais si ces hautes pressions ont contribué à faire dégringoler les températures, elles ont également fait barrage aux perturbations. Résultat : les pluies ont été très déficitaires. Et cette absence de pluie s’observe depuis le début du printemps météorologique, c’est à dire depuis début mars.

"Le déficit de pluie atteint 60 à 90% sur les régions de la moitié Nord et de l'Ouest"

Les déficits de pluie sont particulièrement importants du Sud-Ouest en remontant vers le Poitou et l’Orléanais. La Rochelle n’a reçu depuis début mars que 2,6 mm tandis qu’elle totalise plus de 260 heures d’ensoleillement. L’Ouest et le Centre sont particulièrement concernés et seule la PACA tire son épingle du jeu avec des cumuls proches des normales. Au final, sur les régions de la moitié Nord et de l’Ouest, le déficit atteint 60 à 90% et ce sont les régions de l’Ouest au Centre qui sont le plus touchées par ce déficit de pluies (Finistère, Poitou-Charentes le Bordelais et l’Orléanais).

La conséquence directe est l’installation progressive d’une sécheresse superficielle des sols, avec une quantité d’eau nécessaire à la croissance des végétaux très déficitaire.

Quelles sont les tendances météo pour les prochains jours ?

Ludovic Lagrange : Les perspectives ne sont pas très bonnes pour ces prochains jours pour la moitié Nord, qui devrait rester sous l’influence continentale sèche (hormis quelques rares averses) tandis que les régions de la moitié Sud pourraient être arrosées par des averses à caractère orageux avec peu d’eau en perspective… Tous ces évènements nous rappellent la nécessité d’adapter notre agriculture au changement climatique.