Ils ont conçu un semoir direct qui ne demande qu’à pousser

Avec son associé Bruno Liaigre, Christian Savatier a mis au point l’Axe 3000, un semoir direct inédit, basé sur un disque poussé et incliné. L’aboutissement d’une très longue aventure collective où s’entrecroisent des ONG, des coopératives, un institut technique, un institut de recherche ou encore les jeunes pousses d’un lycée agricole.

5 juin 2019, ouverture des Culturales à Poitiers (Vienne). Bruno Liaigre, tourneur-fraiseur de métier, gérant de la Sarl Liaigre (Indre-et-Loire), spécialisée dans la mécano-soudure et Christian Savatier, chaudronnier, gérant de l'Eurl MCS (Vienne) mais aussi agriculteur (à titre principal), présentent en avant-première l'Axe 3000 produit par leur co-entreprise Axe-LS. Il s'agit d'un semoir direct, à disques (470 mm de diamètre) positionnés sur deux rangées, réservant 18 cm d'inter-rang, apte à semer sous couvert, présenté en 3 m avec une trémie compartimentée de 2 X 1.000 litres. Jusque-là, rien d'extraordinaire, à ceci près que le système d'enterrage repose sur un bras poussé supportant le disque ouvreur, disque inclinable en continu dans une fourchette comprise entre 5° et 20°. Un concept dont les origines remontent à presque 40 ans, en France, après des détours par le Mali et le Maroc.

Enterrer les graines... et le semoir

L'aventure démarre en effet en 1981, date à laquelle Anicet Marionneau, ingénieur au Cemagref (devenu Irstea) met au point un disque semeur au montage inédit : au lieu de travailler en traction, il travaille en poussée, au bout d'un bras de 1,10 m fixé sur le châssis. Sans vouloir insulter la physique, disons que le concept équivaut à tirer une brouette plutôt qu'à la pousser : l'effort est bien moindre car la roue n'a pas tendance à piquer et à buter dans le sol. Et s'agissant d'un disque semeur, le concept fait l'économie du surpoids requis par un disque tiré pour favoriser sa pénétration dans le sol. « A l'époque, personne n'a souhaité acquérir le brevet, si ce n'est des constructeurs qui voulaient enterrer le concept définitivement », commente Christian Savatier. Résultat : le Cemagref autorise la branche tourangelle de l'Afdi (Agriculteurs français développement international) à exploiter le brevet à des fins de développement de l'agriculture de conservation en Afrique. Pourquoi l'Afrique ? « Parce que le semoir est adapté aux conditions sèches », répond Christian Savatier. « Et parce qu'il requiert peu de puissance de traction, ce qui le prédestine aux petits tracteurs en usage en Afrique, voire à la traction animale dans une version réduite à deux rangs ». C'est là que nos professionnels de l'acier et accessoirement du tir sportif (Christian Savatier et Bruno Liaigre sont pratiquants et fabriquent des pièges à balles et des arbalètes), prennent le semoir en marche et contribuent à la fabrication des prototypes successifs. S'invite également Fert, une autre association française de coopération internationale pour le développement agricole des pays en développement et émergents.

Un semoir d'agriculteurs

Entre-temps, le concept d'agriculture de conservation et ses trois piliers (travail minimum, couverts végétaux et rotations longues) commence à émerger en France, le plus souvent à l'initiative de collectifs d'agriculteurs pionniers. Enfilant sa casquette d'agriculteur, Christian Savatier teste le concept sur sa propre exploitation : « J'ai eu de très bons résultats en colza et du coup, je me suis dit que ce semoir, adapté à nos tracteurs, pourrait aussi faire l'affaire en France, sachant qu'à titre personnel, je n'avais pas les moyens de m'acheter un semoir direct du marché ». Problème : les coûts de développement et leur financement. C'est là où trois coopératives, à savoir Agrial, Axéréal et Centre-Ouest Céréales, ainsi que Sofiprotéol, apportent des fonds tandis que Terres Inovia l'intègrera dans une plateforme d'essai comparative. « Au-delà du semoir et de la technique, ce qui est peut-être le plus remarquable dans cette entreprise, c'est que ce sont des agriculteurs, via les coopératives et un institut technique, qui ont dégagé des moyens pour mettre à la disposition des agriculteurs, une solution éprouvée sur le terrain avant d'être commercialisée, note Christian Savatier. Qui plus est, la solution est totalement en phase avec les exigences de conservation des sols... et des exploitations. Merci l'Afdi et merci la profession ».

Essais probants

Durant trois campagnes, Terres Inovia et les trois coopératives associées ont poussé l'Axe 3000 dans ses retranchements en multipliant les variables : types de sol, humidité, volumes de résidus, semis d'automne, féveroles et pois de printemps, le tout en comparaison avec des itinéraires conventionnels, simplifiés et directs. Verdict ? L'Axe 3000 n'a jamais été pris en défaut par rapport à ses concurrents et les a même devancés en conditions sèches, en terme de rapidité de levée. Le réglage de l'inclinaison du disque doit faire l'objet d'un compromis entre le volume de résidus en présence et la quête d'une moindre perturbation du sol, synonyme de relevées d'adventices. Bien évidemment, comme pour tous les semoirs à disques, on oublie les sols caillouteux. Sur pois et féveroles, deux espèces rétives au semis direct, le bras poussé a montré des gains en efficacité de levée, sécurisant l'implantation. Des tests sont annoncés en semis de tournesol sous couvert.

Pré-série

Et maintenant ? Le produit est finalisé, la marque déposée, le lancement officialisé, il n'y a plus qu'à démarrer la fabrication. Oui, mais, du bras poussé aux bras levés... Les TPE Liaigre et MCS n'ont ni l'assise financière ni la structure commerciale (vente, SAV) pour se lancer dans la fabrication en série, ce qui ne les empêche pas d'avoir de sérieuses références en sous-traitances pour de grandes marques, dont certaines spécialisées dans le semis... Dans un autre registre, MCS par exemple a réalisé pour le compte de Sepra Environnement (Loire) les études et la réalisation d'une remorque assurant la collecte mobile de déchets. « Notre objectif pour la première année, c'est de commercialiser quelques exemplaires dans notre région de façon à pouvoir en assurer correctement le suivi », devise Christian Savatier. « D'autres options sont possibles. On ne ferme pas la porte à un constructeur mais à condition de conserver la fabrication des éléments, de façon à faire tourner nos ateliers ». On oubliait : le lycée agricole de Thuré (Vienne) a participé aux essais de développement. C'est l'option jeunes pousses. Ou comment cibler la re-lève.