Glyphosate : pourquoi ne pas défendre les restrictions d’usage au lieu du retrait ?

[Edito] Le retrait pur et simple de l’herbicide engendrerait un surcoût annuel de production de plusieurs milliards à l’agriculture française, non comptabilisées les pertes de rendement et de compétitivité. Pourquoi faudrait-il soumettre l’UE à ce régime mortifère ? Pourquoi ne pas défendre, dans le cadre du processus de ré-homologation fin 2022, les restrictions d’usage que la France s’apprête à mettre en œuvre, non sans poursuivre la recherche fondamentale et appliquée de solutions alternatives ?

On peut faire l’impasse sur le glyphosate. La meilleure preuve, c’est qu’avant 1974, on faisait sans. Autre preuve : de nombreuses exploitations s’en passent et pas seulement celles certifiées en agriculture biologique.

Problème : pour la très grande majorité des autres, l’herbicide est un point de pivot de leur modèle agronomique et économique. Dit autrement, se passer de l’herbicide coûterait un pognon de dingue. Pour les seules grandes cultures, le surcoût est estimé annuellement entre 2 et 3 milliards d’euros auxquels s’ajoutent quelques centaines de milliers de tonnes additionnelles d’émissions de carbone.

C’est l’un des enseignements du rapport d’information que vient de rendre la mission parlementaire sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate. On aurait aimé que la mission évalue aussi l’impact sur les rendements, la transition relevant d’un art de très haute voltige. Une preuve ? Après cinq ans de travaux dans le cadre du projet Syppre, nos meilleurs agronomes de « terrain » (Arvalis, Itb, Terres Inovia) ont toutes les peines du monde à trouver l’équation économique de systèmes innovants à bas intrants, sauf à introduire des espèces, ou peu productives, ou peu valorisées, ou les deux.

Faire payer le surcoût au consommateur par l’impôt

On aurait aimé aussi, de la part de la mission parlementaire, qu’elle ne fasse pas l’impasse sur l’incidence d’un retrait du glyphosate sur les conditions d’accès au marché de nos matières premières agricoles, tant pour les filières végétales qu’animales.

Si la mission a fait ces impasses, c’est parce qu’elle a trouvé la parade. « La transition ne pourra vraisemblablement s’opérer sans un accompagnement financier, au moins dans les premiers temps », lit-on dans le rapport. Pas super engageant, mais passons. Rien sur le mode de calcul de la perte financière à l’échelle de chaque exploitation, mais bon courage. Rien sur d’éventuelles restrictions européennes quant aux aides nationales, mais passons.

Peut-être la France choisira-t-elle de faire du zéro glyphosate le socle des éco-régimes de la prochaine réforme de la Pac ? En attendant, c’est donc la piste de subventions pour les uns, donc de l’impôt pour tout le monde, qui est appelée à la rescousse pour sortir du glyphosate. Un bon moyen de mettre tous les consommateurs à égalité, qui en prime n’auraient pas à s’interroger sur la légitimité de tel ou tel label. Ouf. Il leur resterait simplement à s’assurer que les produits en rayon ou à la cantine sont bien d’origine française, histoire qu’ils en aient pour leur argent. Les agriculteurs seraient un peu plus dépendants de l’obole publique mais bon, un peu plus un peu moins...

Le (bon) génie français

Assez de « France bashing ». L’idée de restreindre l’usage du glyphosate pour les deux campagnes à venir est tout simplement extraordinaire. Elle est soupesée, argumentée, sectorisée, proportionnée, en un mot : rationnelle.

Cette rationalité au nom de laquelle on pourrait, tant qu’à y être, s’interroger sur le fait que onze agences sanitaires et scientifiques internationales sur douze font état d’un fort consensus sur la non cancérogénicité du glyphosate. Si la molécule est effectivement problématique, ces deux années constitueront un galop d’essai à grande échelle, à défaut d’un grand pas de temps, nécessaire aux agriculteurs et aux chercheurs pour conforter et trouver des solutions alternatives.

Offrons-nous un autre luxe, qui consisterait, à l’issue des deux prochaines campagnes, à réaliser une étude d’impact tous azimuts. Et puis redevenons fous : pourquoi ne pas proposer, à l’occasion du réexamen de la molécule par l’Union européenne, ce régime de restrictions d’usages plutôt qu’un retrait brutal et mortifère ? Au passage, on s’éviterait le risque du syndrome des néonicotinoïdes en betterave, un rétropédalage ravageur, pour les pucerons, mais pas seulement.