L’agriculture évolue, l’entraide aussi (4/4) : L’entraide, acteur majeur du développement de l’agroécologie

L’échange, entre agriculteurs, de matériels, de main d’œuvre, de matières premières, voire de conseils, peut contribuer à l’évolution des pratiques agricoles. Après avoir été un facteur déterminant pour l’amélioration de la productivité de l’agriculture, l’entraide, notamment au sein du réseau Cuma, participe aujourd’hui très concrètement à la transition agroécologique.

« Un levier pour la mécanisation devient aussi un levier pour la transition agroécologique »,  affirme la sociologue Véronique Lucas, spécialiste de l’entraide et des Cuma, dans une communication au colloque « Politiques de la machine agricole » organisé en juin 2022 par l’université Paris Dauphine. Ce qu’elle nomme « le paradoxe des Cuma françaises », de la mise à disposition de machines à la transition écologique, n’en est un qu’en apparence : cette évolution s’inscrit dans l’histoire des Cuma, leur structuration et leur diversification, toujours au plus près des besoins de communautés d’agriculteurs locaux.

Les Cuma au-delà du seul partage de matériel

Lors de leur création, en 1945, par le ministre de l’Agriculture de l’époque, François-Tanguy Prigent, l’objectif assigné aux Cuma est de « faciliter la mécanisation des petites et moyennes exploitations pour qu'elles participent à l'augmentation de la productivité agricole ». Elles remplissent cette mission, de façon assez hétérogène selon les territoires, jusque dans les années 1970. Les 20 années suivantes sont celles de leur apogée : elles passent de 7000 coopératives en 1970 à près de 14 000 en 1990. Trente ans après, leur nombre n’a que peu diminué : la France compte encore 10 000 Cuma en 2023.

Selon la sociologue Véronique Lucas, « L'évolution contemporaine d'une partie des Cuma devenant un levier de transition agroécologique s'inscrit dans la continuité de l'histoire de cette forme coopérative »
Selon la sociologue Véronique Lucas, « L'évolution contemporaine d'une partie des Cuma devenant un levier de transition agroécologique s'inscrit dans la continuité de l'histoire de cette forme coopérative »

Pour Véronique Lucas, cet essor des Cuma, et leur maintien en nombre dans un contexte de diminution du nombre d’exploitations, est lié à des facteurs économiques, à leur organisation en un réseau efficace, mais aussi à la diversification de leurs objectifs. Progressivement, les Cuma se sont en effet emparées d’autres sujets que la seule mécanisation :  mise à disposition de main d’œuvre pour soulager le travail des agriculteurs avec l’embauche de chauffeurs-mécaniciens (et plus récemment de salariés en groupements d’employeurs), innovation et co-conception d’équipements adaptés aux besoins et à la demande locale et qui n’existent pas sur le marché des constructeurs, et échanges d’informations entre agriculteurs.

Ces deux dernières diversifications portent déjà les germes de l’agroécologie, et ce, avant même que cet objectif ne soit assigné à l’agriculture en 2013. Ainsi, dès les années 1980, des Cuma (surtout dans l'Ouest) ont été des pionnières dans la création de filières locales bois-énergie, en mettant à disposition des agriculteurs des outils spécifiques pour l’entretien et la valorisation des haies bocagères. Dans les mêmes années, elles jouent un rôle important dans les premiers circuits courts, avec des outils collectifs de transformation (unités d'abattage et de découpe, pressage de fruits…).

Connaître les pratiques de ses pairs in situ 

Plus tard, on retrouve encore des outils en Cuma autour de techniques de compostage collectif, de méthanisation, dans le développement des techniques de conservation des sols, ou encore dans la diversification culturale, levier majeur de l’agroécologie, qui s'accompagne souvent « du besoin d'un parc matériel plus varié, dont chaque outil peut difficilement être rentabilisé sur de petites surfaces », souligne Véronique Lucas.

Au-delà de leur impact en termes d’équipements, la sociologue insiste sur le rôle des Cuma dans les échanges entre agriculteurs, qu’elle nomme « opportunités d'interconnaissance des pratiques de ses pairs in situ ». Ces échanges peuvent se dérouler de multiples façons, à l’occasion des chantiers communs, dans les réunions de planning, voire dans les discussions sur les investissements. « Ce sont des lieux où l’on se retrouve entre gens différents, avec des sensibilités différentes. Certes, ce n’est pas l’idéal, mais d’un autre côté, la différence peut amener à faire des compromis, à réfléchir à des évolutions ».

Les réseaux d’entraide en ligne contribuent aussi à l’agroécologie

Le rôle de l’entraide dans le développement de l’agroécologie, c’est également le sujet que Thomas Collin a choisi pour son stage de première année de master Agroécologie à l’Institut Agro de Dijon. Lui, s’est intéressé à une nouvelle forme d’entraide : celle proposée par la plateforme Agri-échange.

Comme Véronique Lucas, Thomas Collin souligne l’importance des échanges de matériels et de main d’œuvre dans l’entretien des haies bocagères et des arbres, dans le développement de l’agriculture de conservation ou du désherbage mécanique, dans la mise en place et la valorisation des couverts végétaux (échanges de matériels, mais aussi de semences), ou encore dans l’accès à une pulvérisation de précision.

Il insiste aussi beaucoup sur le rôle que peut jouer Agri-échange dans le développement des surfaces en légumineuses et en herbe, deux leviers majeurs en agroécologie. Ce développement peut se faire via la mise à disposition de matériel performant pour les gérer, mais aussi en mettant en contact des éleveurs et des céréaliers : « Un céréalier peut valoriser l’herbe présente sur ses bandes enherbées via les animaux des agriculteurs éleveurs ayant besoin de foin, d’ensilage d’herbe ou de surface de pâture. Cette herbe peut aussi être valorisée par les agriculteurs méthaniseurs ayant besoin d’ensilage d’herbe pour le fonctionnement de leur unité de méthanisation ».

Echanger sur les démarches bas-carbone

Etudiante du même master, Emilie Régal a également réalisé son stage chez Agri-échange, et, elle s’est intéressée au rôle de la plateforme dans le développement des démarches bas carbone. Là encore, elle évoque les échanges entre agriculteurs de matériels et de matières premières favorisant les pratiques bas carbone (couverts végétaux, rotations longues, accès à la fertilisation organique à la place de la fertilisation minérale…).

Comme Thomas, elle insiste sur les échanges immatériels entre agriculteurs, par exemple des retours techniques sur les équipements, mais aussi des discussions sur les pratiques adoptées, voire sur les opérateurs choisis pour valoriser ces démarches : Emilie constate encore beaucoup d’interrogations et de méconnaissance sur la manière d’obtenir un complément de revenu grâce aux crédits carbone : « Les agriculteurs sont preneurs d’un accompagnement pour les éclairer sur ces démarches », accompagnement qui pourrait être réalisé par la plate-forme d’entraide.

Tous les articles de la série :

L’agriculture évolue, l’entraide aussi (1/4) : L’entraide est-elle morte ?

L’agriculture évolue, l’entraide aussi (2/4) : Agri-Échange, du groupe d’entraide au réseau d’entraide

L’agriculture évolue, l’entraide aussi (3/4) : Partager un salarié est aussi une forme d’entraide

L’agriculture évolue, l’entraide aussi (4/4) : L’entraide, acteur majeur du développement de l’agroécologie