L’agriculture évolue, l’entraide aussi (3/4) : Partager un salarié est aussi une forme d’entraide

Depuis 2016, les Cuma ont la possibilité de porter un groupement d'employeurs pour un salarié partagé entre plusieurs exploitations. A l’heure où la main d’œuvre est souvent le facteur limitant l’activité agricole, cette organisation permet de créer des emplois pérennes, tout en augmentant le confort de vie des agriculteurs. A Abbaretz (44), Benoît, Hervé et Pascal se partagent un salarié depuis janvier dernier. Et ils voient cela comme une forme moderne d’entraide.

A Abbaretz (Loire-Atlantique), à une cinquantaine de kilomètres au nord de Nantes, la Cuma de l’Arche compte une quarantaine d’adhérents. En période de travaux agricoles, deux fois par semaine, les utilisateurs s’y retrouvent pour établir le planning des machines partagées. Trois adhérents prolongent généralement cette réunion : eux vont établir le planning de Dylan, le salarié agricole qu’ils partagent dans le cadre d’un groupement d’employeurs porté par la Cuma. « La Cuma, ce n’est pas uniquement le partage du matériel, c’est aussi la mutualisation des besoins de main d’œuvre », commente Benoît Gautier, administrateur de la Cuma de l’Arche, et l’un des porteurs de l’emploi partagé de Dylan. Depuis quelques années, la Cuma de l’Arche s’est d’ailleurs beaucoup investie dans ce domaine, pour répondre aux besoins exprimés par les adhérents : un premier emploi a été créé en 2019 pour la conduite et l’entretien du matériel. Un deuxième a suivi pour les mêmes missions, mais uniquement en CDD pour la saison.

Deux emplois en groupement d’employeurs porté par la Cuma

En 2022, un troisième emploi a été créé, en utilisant la possibilité offerte aux Cuma, depuis la loi travail de 2016, de porter un groupement d’employeurs. Enfin, en janvier 2023, Dylan est arrivé, également sur un poste de salarié en groupement d’employeurs. Dylan a donc trois collègues employés par la Cuma, deux qui travaillent « uniquement » pour la Cuma, comme chauffeurs, et un autre, Ewen, qui, comme lui, partage son temps de travail entre plusieurs exploitations.

 

Pour Pascal, Hervé et Benoît (Dylan est entre Hervé et Benoît), « partager un salarié à plusieurs, c’est une entraide via rémunération, mais c’est une entraide précieuse. On a été capables de s’organiser ensemble pour créer un emploi pérenne » (Crédit photo : Catherine Perrot)
Pour Pascal, Hervé et Benoît (Dylan est entre Hervé et Benoît), « partager un salarié à plusieurs, c’est une entraide via rémunération, mais c’est une entraide précieuse. On a été capables de s’organiser ensemble pour créer un emploi pérenne » (Crédit photo : Catherine Perrot)

Le poste de Dylan (comme, auparavant, celui de Ewen) a été construit « sur mesure » pour répondre aux besoins de trois exploitations d’élevage bovin. Deux sont individuelles (Benoît et Pascal sont éleveurs allaitants) et la troisième est un Gaec en élevage laitier (Hervé est associé à son frère). Tous trois avaient des besoins de main d’œuvre, sans pour autant avoir les moyens, ni même la volonté, d’embaucher un salarié individuellement.

Ces trois éleveurs partageaient la même vision du salarié dont ils avaient besoin : pas question de le réduire à certains travaux, par exemple, uniquement la traite ou l’alimentation des animaux. Tous voulaient un complément de main d’œuvre, sur toutes les tâches, tous les travaux, avec une adaptation selon les contraintes et les souhaits de chacun. Pas forcément une égalité parfaite en temps de travail entre les trois, mais la volonté d’assurer un temps plein au total sur l’année.

Toutes les tâches d’une exploitation

Concrètement, le « partage » de Dylan est en général établi sur deux à trois jours à l’avance, en fonction des charges de travail : le jeune homme sait chez qui il doit se rendre chaque matin, et combien de jours il y restera. Dans chaque ferme, il a une description précise de ce qu’il aura à accomplir. « Il arrive pour le café du matin. Je lui transmets les consignes. J’essaye de lui faire faire toutes les tâches, y compris, en l’accompagnant au début, celles qu’il ne connait pas » décrit Hervé.

De son côté, Pascal estime que non seulement, le travail de Dylan le soulage et lui apporte du confort, mais qu’en plus, devoir organiser et planifier des tâches l’aide à anticiper et à améliorer sa propre organisation. « Plus on anticipe, plus le travail est efficace ». Il voit aussi la présence régulière de Dylan comme un repère, par exemple, pour faire un point sur les travaux prévus, ou pour avoir un « avis extérieur ». Et il estime même que la présence d’un salarié partagé, comme l’adhésion à une Cuma, peuvent constituer des remparts efficaces contre l’isolement des agriculteurs.

« Avoir Dylan, cela nous donne de la souplesse dans notre travail », résument les trois exploitants. Cette « souplesse » s’inscrit cependant dans une organisation très cadrée : Dylan ne travaille qu’un week-end sur quatre, et il connait leur date à l’avance, tout comme les périodes de vacances de ses employeurs. Et bien sûr, il peut poser ses congés en concertation avec eux. Administrativement, son emploi est géré par la Cuma, ses heures sont toutes comptées, et il peut accéder à tous les droits d’un salarié d’une organisation, comme des droits à des formations : les quatre salariés de la Cuma de l’Arche ont ainsi tous suivi une formation en désherbage mécanique.

« Je me sens bien dans mon travail »

Cet emploi un peu particulier, avec trois patrons, c’était précisément ce que cherchait Dylan, après son BTS ACSE réalisé en apprentissage et une première expérience en travaux publics : « Le travail en groupement d’employeurs, on ne m’en avait dit que du bien. La diversité, c’est formateur. Et puis, je voulais travailler dans des fermes à dimension humaine », assure le jeune homme. « Je me sens bien dans mon travail ». Cerise sur le gâteau, Dylan s’entend très bien avec ses trois autres collègues de la Cuma, avec qui il prend régulièrement ses repas de midi : « Il y a une bonne ambiance entre salariés ».

Ce n’est cependant pas un secret : même si Dylan se sent bien dans son poste, il a pour projet de s’installer, d’ici quelques années, en élevage allaitant, « en fonction des opportunités ». Alors, certes, ce sera une perte pour ses trois employeurs actuels. Mais comme tous trois sont très attachés au renouvellement des générations en agriculture, ils verront aussi cette installation comme l’opportunité d’avoir un nouveau collègue, un nouvel adhérent de Cuma et voire même un nouvel employeur de salarié partagé !

Tous les articles de la série :

L’agriculture évolue, l’entraide aussi (1/4) : L’entraide est-elle morte ?

L’agriculture évolue, l’entraide aussi (2/4) : Agri-Échange, du groupe d’entraide au réseau d’entraide