La fin des herbicides dans les vignes : à quel prix?

Moët Hennessy l’annonce : fin 2020 marque la fin de l’utilisation des herbicides dans tous ses vignobles en Champagne. L’ambition d’arrêter la totalité des herbicides dans le vignoble Champenois d’ici 2025 est d’ailleurs également envisagée par la filière.Si certains décident d’emboîter le pas de la transition en anticipant l’interdiction du glyphosate prévue dans les années prochaines, d’autres vignobles, dont la production est à valeur ajoutée plus faible, appréhendent ces échéances.

Le réseau INOSYS Viticulture  entreprend en 2019 le sensible exercice d’estimer les conséquences technico-économiques de l’arrêt des herbicides dans les vignes . Sur la base de 18 systèmes d’exploitation-types, répartis sur 8 vignobles français, les experts du dispositif établissent pour chaque système un itinéraire technique - adapté des travaux réalisés par le réseau DEPHY, évaluent les variations économiques d’un tel changement, et abordent entre autres les problématiques de l’organisation du travail, de l’effet de seuil et de la disponibilité en main d’œuvre.


DÉFINIR UN ÉTAT INITIAL DU SYSTÈME
Si une transition agricole s’envisage comme « l’accompagnement d’un système d’exploitation d’un point A – état initial du système – vers un point B – état final du système », alors définir l’état initial du système d’étude est la première étape de l’évaluation. Dans le cas du chiffrage de l’arrêt des herbicides dans les vignes, une dizaine de critères ont été observés par les experts INOSYS pour définir cet état initial : le contexte topographique et pédoclimatique (parcelle mécanisable, état d’enherbement, fenêtre d’intervention sur la parcelle), l’itinéraire technique (utilisation initiale en herbicide, densité de plantation), les facteurs de production (main d’œuvre qualifiée disponible, disponibilité du matériel), les indicateurs économiques (valeur ajoutée de la production, état de la trésorerie, capacité d’endettement) et enfin la commercialisation (coopérateur, négoce, vente directe). 

CHANGER DE PRATIQUE, COMBIEN ÇA COÛTE ?
Les résultats de l’étude montrent une disparité des coûts et de leurs conséquences en fonction de l’état initial du système : en supposant une perte de rendement de 10% (fragilisation des racines par désherbage mécanique), les charges totales à l’hectolitre varient de +7% à +20% en fonction des systèmes d’étude et le produit brut diminue de 0 à 10%. En découle une diminution nette du RCAI  pour chacun des systèmes, de manière plus ou moins alarmante, comme ici avec trois exemples extraits des impacts économiques de l’arrêt des herbicides dans les vignes5 (Figure 1) : la diminution du RCAI des systèmes en Champagne coopérateur (A) (-12000 €) et en Beaujolais vrac négoce (B) (-18000 €) sont du même ordre de grandeur, mais les conséquences pour l’exploitation sont aux extrêmes (-7,6% par rapport au RCAI de l’état initial du système pour (A),  -152% pour (B)). Quant au système Corse AOC Patrimonio (C), le désherbage manuel obligatoire dans ce système fait perdre près de 106000 € de RCAI, soit -78% par rapport à H init. Cette hétérogénéité de résultats permet de comprendre aisément l’écart d’appréhension du passage au « Zéro herbicide » des systèmes viti-vinicoles actuels.

Graphique 1

Graphique 2

Graphique 3

Figure 1 : Evolution des charges totales, produits bruts et résultats courants sur trois systèmes de l'étude. H init : état initial du système, H-5, hypothèse de perte de rendement de 5%, H-10, de 10% et H-20 de 20%. (INOSYS, 2019)

 

D’AUTRES CONSÉQUENCES À PRENDRE EN COMPTE
Le changement d’itinéraire technique doit s’accompagner d’une formation à l’utilisation des outils pour la main d’œuvre non formée, et/ou prendre en compte la disponibilité de la main d’œuvre qualifiée à l’échelle du vignoble, estimée par exemple à 240 ETP  sur 4 mois en Val de Loire. Enfin, les conditions pédoclimatiques et la concentration des travaux des vignes sur une période courte (juin/septembre), ainsi que la vitesse des outils de mécanisation, peuvent rapidement mener à un « effet de seuil  », qui demandera alors des investissements doubles et deux fois plus de main d’œuvre. Tous ces éléments poussent à une réorganisation du travail au sein de l’exploitation, qui semble être un frein non négligeable à la transition.
Plusieurs solutions peuvent être envisagées par le viticulteur pour compenser la perte de résultat courant de son exploitation : une certification environnementale « Zéro Herbicide », l’augmentation du prix à l’hectolitre entre 3 à 20% selon les systèmes et lorsque cela est possible (vente directe par exemple), ou encore l’achat de matériel en CUMA ou en copropriété pour diminuer le poids des investissements. Or, si l’arrêt des herbicides est un service environnemental, au bénéfice de la communauté, doit-on laisser l’exploitant seul supporter le risque financier, ou faut-il demander à la communauté, française ou européenne, d’en prendre aussi une partie à sa charge ?

Contact : Mathilde Vauthier
mathilde.vauthier@apca.chambagri.fr