La petite jersiaise nourrit de grandes ambitions

Pour la première fois de son histoire, la race jersiaise a été désignée « race à l'honneur » au Space et elle y a organisé son concours national 2022. Encore minoritaire en France, mais deuxième race laitière élevée dans le monde, la jersiaise a eu l'occasion de montrer ses qualités, son adaptabilité aux enjeux actuels et futurs, et le dynamisme qui anime ses troupes.

Éleveur à Juvardeil (49), Philippe Bourgeau se souvient encore du temps où il allait chercher ses jersiaises au Danemark. « C'était il y a 30 ans, nous étions parmi les premières voitures à aller là-bas ». Ses motivations de l'époque ? Augmenter ses revenus laitiers grâce aux taux élevés de la jersiaise, faute de pouvoir augmenter son quota ; mais aussi « ne pas faire comme tout le monde », souligne-t-il un brin malicieux.

Même quand les quotas ont disparu, Philippe Bourgeau a persisté avec ses petites vaches au lait riche, et a même connu son heure de gloire avec sa vache Fabuleuse, la première jersiaise française à dépasser les 100 000 kg de lait produit dans sa carrière en 2010 (125 500 kg de lait à 7%, 59,2 TB et 40,3 TB, en 11 lactations). Même si elle a été rejointe depuis par d'autres jersiaises françaises, et même si elle est morte, à la ferme, à l'âge de 20 ans, Fabuleuse reste exposée en photo dans tous les salons où est présente la race.

Elle l'était donc lors de la dernière édition du Space, qui s'est tenu à Rennes du 13 au 15 septembre, d'autant plus mise en valeur que la jersiaise était la race à l'honneur du salon 2022. « Cela fait plusieurs années que nous avions envie d'organiser notre concours national au sein d'un événement de grande ampleur », confie Benoît Guioullier, éleveur en Mayenne et président de Jersiaise France, « nous sommes une race encore minoritaire, mais nous avons de grandes ambitions ».

Plus de 20 000 jersiaises en France

Minoritaire en France, mais deuxième race laitière élevée dans le monde, la jersiaise méritait en effet cette mise à l'honneur, car ses effectifs connaissent une croissance spectaculaire dans l'hexagone : en 10 ans, ils ont été multipliés par trois. « Nous partions certes de très petits effectifs », reconnaît Olivier Bulot, le directeur de Jersiaise France, l'organisme de sélection de la race. Aujourd'hui, environ 15 000 vaches pointent au contrôle de performance (officiel ou non officiel). Au total, les jersiaises en race pure seraient environ 21 000 en France. En outre, quelques milliers de vaches laitières portent du sang jersiais, souvent en croisement avec des Prim'Holstein.

Le nombre d'adhérents à Jersiaise France s'est aussi considérablement accru en 10 ans, passant d'une cinquantaine à 250 aujourd'hui. Beaucoup de ces nouveaux adhérents sont de jeunes éleveurs : « Nous avons une dynamique très jeune », se réjouissent le directeur et le président.

Cette jeunesse s'est bien illustrée le 14 septembre dernier dans le concours national de la race 2022, qui a vu défiler une soixantaine d'animaux, venus de 22 départements français, sur le grand ring du Space. « Plus qu'une compétition, c'est une promotion de la race », assure Benoît Guioullier.

En plus de ses qualités technico-économiques incontestables, force est de reconnaître que le minois de la jersiaise a de quoi faire fondre ! Ici, celui d'Idéale, de l'EARL du Mortier (49). (photo Catherine Perrot)

Longévité, adaptabilité, taux élevés

Le concours, qui s'est tenu devant un public nombreux, a en effet constitué l'occasion d'illustrer les qualités de la jersiaise : une race précoce et qui vieillit bien, « les vaches de plus de 10 ans ne sont pas rares » ; un lait d'une richesse exceptionnelle (56,3 TB et 38,9 TP en moyenne sur les vaches contrôlées), avec des aptitudes élevées à la transformation (taux élevé de caséine kappa) ; une adaptabilité à tous les systèmes « intensif, extensif et montagne. Environ 30 % de nos éleveurs sont en bio », souligne Benoît Guioullier ; une bonne fertilité, une facilité de vêlage et un petit gabarit qui en font un animal facile à conduire et à loger.

Dans le concours national, même si les « vieilles » vaches étaient nombreuses (7 vaches figuraient dans la section des 7e lactations et la doyenne avait 12 ans), ce sont deux « espoirs », respectivement en 2e et 1ère lactation, qui sont montées sur les deux premières marches du podium. La grande championne est une vache d'Eure et Loir, Jers'Hys Kalysse, du Gaec Ferme Jers'Hys, de la Commune nouvelle d'Arrou (28). Sa réserve est Prisma du Gaec Ferme du Golfe d'Arradon (56).

La grande championne du national Jersiais 2022 est une vache en cours de 2e lactation, Jers'Hys Kalysse, du Gaec Ferme Jers'Hys, de la Commune nouvelle d'Arrou (28). (photo Catherine Perrot)

L'Europe des jersiaises à Rennes

Ce concours national qui s'est tenu dans le cadre du Space avait aussi une dimension internationale, puisqu'il s'est déroulé dans le cadre du Forum européen de la race jersiaise, un voyage technique qui a réuni environ 70 visiteurs internationaux, venus de14 pays différents, y compris hors Europe puisque des représentants du « World jersey cattle bureau » étaient également présents.

Cette collaboration avec des pays où la race est plus représentée, notamment le Danemark avec qui des accords sont établis pour conduire le schéma de sélection, permet aux jersiaises françaises de bénéficier des innovations technologiques des grandes races : « En France, nous sommes la race qui a le plus recours aux semences sexées », explique Benoît Guioullier. Ce recours important s'explique, certes, par la faible valorisation des mâles, mais surtout par la dynamique du commerce des génisses prêtes à vêler ou en lait.

Le génotypage est également très développé chez les jersiaises françaises, puisque 6 000 femelles sont déjà génotypées « et nous réalisons 1 500 à 2 000 génotypages par an », confie Olivier Bulot.  Concrétisation de ces efforts et illustration de la qualité du travail des éleveurs : les premiers taureaux d'insémination français viennent de rejoindre leurs collègues scandinaves dans les catalogues officiels de la grande coopérative danoise Viking genetics.

La portée internationale du concours était soulignée par le fait que le juge soit un éleveur québécois : Rémi Guay a assuré ses commentaires en français et en anglais. (photo Catherine Perrot)