La production de légumes prend racine chez les éleveurs

Pour se diversifier, certains éleveurs franchissent le pas de la production de légumes sur des petites surfaces. Si les synergies entre les deux ateliers sont nombreuses, le principal frein repose sur la disponibilité du matériel. Témoignage en Auvergne et dans les Pays de la Loire, où le phénomène prend de l’ampleur.

Et si les éleveurs plantaient des choux dans les pâtures ? L’image peut paraître saugrenue. Elle reflète pourtant une dynamique de diversification qui prend doucement de l’ampleur dans certaines zones d’élevages et notamment chez les producteurs bio. « Il semble y avoir un réel intérêt en Mayenne », témoigne Vincent Le Cam, conseiller maraîchage à la Coordination agrobiologique (CAB) des Pays de la Loire. Même son de cloche en Auvergne-Rhône-Alpes, où la Frab a recensé cette année dix fois plus de demandes d’accompagnement sur le sujet qu’il y a deux ans. Pour y répondre, la structure a mis en place une formation sur la production de légumes à destination des éleveurs et céréaliers.

« Il y a plusieurs facteurs qui encouragent cette diversification. Côté consommateurs, nous constatons un regain du manger local et du bio. La loi Egalim a, elle aussi, instauré des objectifs sur ces deux critères. Côté producteurs, en Auvergne, les sécheresses à répétition poussent les éleveurs à se diversifier par manque de fourrage », analyse Alexandre Barrier-Guillot, conseiller maraîchage bio Auvergne de la Frab AuRA.

Démonstration de matériel lors d'une journée Dephy organisé par la FRAB AuRA (© ABG FRAB AuRA)

Légumes de plein champ ou maraîchage diversifié

Pour introduire une production de légumes sur un élevage, plusieurs modèles sont possibles. L’éleveur peut par exemple choisir de consacrer quelques hectares à la production de légumes de plein champ. « Pour commencer, les légumes phares sont souvent des racines : pomme de terre, betterave, carotte, navet, oignon ou même poireau. Certains éleveurs tentent aussi d’autres types de cultures comme la courgette, le chou ou le céleri », liste Alexandre Barrier-Guillot.

Lorsqu’il s’est installé sur l’exploitation de son frère à Carlat, dans le Cantal, Simon Lacalmonti a fait le choix de la pomme de terre. Ce sont maintenant 1,5 ha de cette production, suivie d’une céréale, qui se sont insérés dans les 67 ha de prairies destinées aux 45 vaches salers. « Dans la continuité, nous voulons réduire le cheptel car nous ne sommes pas autonomes en fourrage et en paille », commente le jeune agriculteur.

L’introduction de légumes sur un élevage peut aussi se faire par l’approche du maraîchage diversifié. « Des éleveurs nous contactent pour accueillir un maraîcher chez eux », confirme Alexandre Barrier-Guillot. En Loire-Atlantique, Boris Allain s’est ainsi installé sur une exploitation d’élevage bovin et de viticulture sur la commune de Vallet. À l’inverse des légumes plein champ, les installations fixes et le serres ne permettent pas d’insérer l’ensemble des parcelles de production maraîchère dans la rotation des prairies. « Les pommes de terre et les courges peuvent s’implanter dans une prairie car ce sont des cultures qui se développent sans irrigation ici, mais ce n’est pas le cas des autres productions », prévient le maraîcher.

Un partage des tâches

L’arrivée d’une nouvelle personne sur l’exploitation pour produire des légumes peut permettre une réorganisation du travail pour alléger les astreintes. « C’est le cas d’une ferme laitière à Guérande qui a accueilli un maraîcher. Les éleveurs vont l’aider pour les pics d’activités et, lui, assure la traite certains week-end », rapporte Vincent Le Cam.

D’autres avantages se dégagent selon les systèmes d’exploitation. En Loire-Atlantique, une ferme au Sud de Nantes profite des serres de maraîchage pour préparer les betteraves fourragères mini-motte à destination du troupeau. Les planteuses à légumes peuvent également être réutilisées pour cette culture fourragère. « Les animaux profitent aussi des restes de légumes comme les salades montées qui ne sont pas utilisées. Ainsi il n’y a pas de perte », ajoute Boris Allain.

De nombreuses synergies entre les deux ateliers

Pour la production de légumes, être associé à un atelier d’élevage offre le gros avantage d’avoir accès à du fumier à volonté. « En bio, il est parfois difficile de trouver du fumier. Les producteurs se tournent vers l’engrais organique en bouchon mais il y a un certain coût et le manque d’autonomie ne correspond pas à tous les systèmes », analyse Vincent Le Cam. Lors de son mémoire de fin d’étude réalisé au Gab 56 en 2019, le conseiller a relevé des exemples de maraîchers qui avaient lancé un petit atelier d’élevage pour retrouver cette autonomie.

Pour Boris Allain, l’idéal est de pouvoir mettre en andain et pailler ce fumier pour un compostage optimal durant l’hiver. « Chez nous, la minéralisation du fumier utilisé pour les pommes de terre sert aussi à la fertilisation de la céréale qui suit. Nous ne fertilisons pas entre les deux cultures », témoigne Simon Lacalmonti.

"Dans l’idéal, il faut attendre sept à huit ans avant de faire revenir un légume sur une parcelle."

L’allongement de la rotation est également une synergie importante entre élevage et légumes. « Dans l’idéal, il faut attendre sept à huit ans avant de faire revenir un légume sur une parcelle, une prairie permet de respecter ce délai », relève Alexandre Barrier-Guillot. Sur l’exploitation de Simon Lacalmonti, l’introduction de la pomme de terre dans les prairies a été l’occasion de renouveler ces dernières. « Nous détruisons la prairie et implantons les pommes de terre en mai. Après la récolte en octobre, nous semons une céréale puis une prairie sous couvert en mars. Les bonnes années, la parcelle est pâturable en septembre après la moisson », décrit l’agriculteur auvergnat. Cette nouvelle rotation a permis d’engendrer un cercle vertueux avec la création d’un atelier poules pondeuses pour consommer les céréales et ainsi permettre la diminution du cheptel bovin comme voulu par les deux frères.

Les prairies ont aussi l’avantage de réduire considérablement la charge d’adventices sur la parcelle entre deux légumes. « Pour ne pas utiliser de produits phytosanitaires, il faut une longue rotation. L’élevage s’y prête bien car l’herbe des prairies est valorisée par les animaux », résume Simon Lacalmonti. Alexandre barrier-Guillot met toutefois en garde contre certains ravageurs qui posent problème en Auvergne après une prairie, tels que le taupin ou le rat taupier.

Prospecter les clients potentiels

« Il faut bien réfléchir à son mode de commercialisation avant de se lancer. De mon côté, j’avais fait une étude de marché pour analyser les potentiels débouchés », témoigne Simon Lacalmonti. Aujourd’hui, il vend un tiers sa production en vente directe à la ferme et un autre tiers au magasin Biocoop d’Aurillac. Le reste se répartit entre collectivités et d’autres maraîchers qui ne produisent pas de pommes de terre et veulent compléter leur offre.

Pour commercialiser sa production, Boris Allain livre à deux Amap en région nantaise. Il pratique également la vente à la ferme et approvisionne la restauration collective à proximité de manière plus occasionnelle. « En plus de la formation, nous intervenons sur la structuration de la filière. Nous avons créé Ovabio, un collectif de 50 producteurs, qui planifie la production de légumes sur l’année », indique Alexandre Barrier-Guillot. Concrètement, les producteurs passent des contrats avec la structure qui se charge ensuite de répondre aux besoins des magasins et de la restauration collective.

Trouver un compromis sur l’investissement matériel

Le principal problème pour débuter une production légumes provient de l’investissement matériel nécessaire. Certains outils sur les fermes d’élevage sont utilisables pour les deux ateliers, parfois avec quelques adaptations. C’est principalement sur cette question que la Frab AuRA a axé sa formation.

Pour le travail du sol, qu’il soit profond, semi-profond ou superficiel, Alexandre Barrier-Guillot préconise d’utiliser ce qui est présent sur l’exploitation. La butteuse peut, elle, représenter un investissement intéressant. « Le problème, ce sont les bineuses qui coûtent chères. Le binage peut être fait avec un vibroculteur ou un cultivateur au début mais ce n’est pas l’idéal. Pour les éleveurs qui se lanceraient avec un hectare de légume, ça peut passer avec un petit pousse-pousse manuel. Comme nous étions une région qui produisait du tabac, certains producteurs adaptent les vieilles bineuses qui étaient utilisées pour cette culture », ajoute-t-il.

Pour ses 1,5 ha de pommes de terre, Simon Lacalmonti a investi dans une petite arracheuse neuve ainsi qu’une planteuse et une buteuse d’occasion. « Par contre, je n’avais pas anticipé l’investissement dans les palox pour stocker les pommes de terre », avoue-t-il. Pour le reste, il trouve le matériel nécessaire au sein de la Cuma locale.

Herse étrille artisanale faite avec des cordes de piano (© ABG FRAB AuRA)