« Le circuit long apporte souplesse et sécurité à mon système en circuits courts »

Du projet d'installation à sa réalisation, il y a parfois des variations. Les aléas de la vie personnelle, les crises sanitaires, mais aussi les opportunités, peuvent modifier un projet. Yoan Aguer, éleveur caprin, fait évoluer son système en circuits courts en y intégrant une part plus importante que prévu de circuit long. Expérience.

Yoan Aguer, 35 ans, est éleveur de chèvres et fromager à La Haie-Fouassière, près de Nantes (Loire-Atlantique). Après une première vie professionnelle comme conseiller d'élevage en Franche-Comté, cet ingénieur agronome de formation s'installe, en 2016, comme éleveur caprin : son projet est de conduire un troupeau de taille modeste (50 chèvres), dont le lait sera transformé et vendu en circuits courts (marchés, Amap, livraisons en points de vente, boutique à la ferme). 

L'exploitation fait très peu de renouvellement et ne garde quelques chevrettes issues des meilleures bêtes chaque année pour progressivement passer de 66 à 75-80 chèvres
L'exploitation fait très peu de renouvellement et ne garde quelques chevrettes issues des meilleures bêtes chaque année pour progressivement passer de 66 à 75-80 chèvres

Le choix de la localisation, près de Nantes, est lié aux origines de Marie, son épouse, elle aussi ingénieure agronome : l'ambition du couple est alors de faire revivre le domaine du Hallay, appartenant à la famille de Marie, un ensemble de terres et de bâtis dont les origines remontent au XVIIe siècle. Ils veulent lui redonner une vocation agricole, y développer une activité de location d’hébergements, et organiser des animations agritouristiques.

Une sécurisation économique

Le projet agricole est dimensionné globalement pour faire vivre le couple, avec Yoan comme exploitant et Marie comme salariée. La production du lait de chèvre étant très saisonnalisée, le choix est fait de produire un peu plus de lait que nécessaire et de vendre le surplus de printemps à la laiterie : l'exploitation dispose ainsi de suffisamment de lait sur le reste de l'année pour approvisionner ses clients (sauf lors du tarissement des chèvres, en janvier-février).

"Nous avons de la chance, car globalement, ils sont toujours en recherche de lait de chèvre"

Lors de sa première année de production, Yoan contractualise donc 8000 litres annuels (sur les 25000 litres qu'il produit) avec Agrial. « Nous avons de la chance, car globalement, ils sont toujours en recherche de lait de chèvre, décrit le jeune éleveur. Ils sont souples : je les appelle quand j'ai besoin qu'ils viennent chercher le lait, soit une ou deux fois par semaine en pleine saison ».

Le coronavirus : un drôle d'effet

Yoan fonctionne ainsi pendant trois ans, livrant 8000 litres chaque année, alors que la production s’accroît (25000 litres, 31000 litres, 40 000 litres). En 2020, quatrième année de production, le troupeau est un peu plus nombreux et un peu plus performant : Yoan aurait bien un peu augmenté ses quantités de lait de printemps à vendre à la laiterie. Mais dès les premiers signes de la crise sanitaire, Agrial demande aux éleveurs de ne pas dépasser les volumes des années précédentes, soit 8000 litres pour Yoan Aguer.

"Certains jours, il fallait patienter près d’une heure dans la file d'attente avant de pouvoir acheter son fromage"

Face à la fermeture des restaurants et des marchés, la laiterie anticipe en effet le report des volumes destinés à la vente en circuits courts. C'est aussi ce que redoute Yoan. Cependant, les semaines de confinement strict vont avoir l'effet exactement inverse sur son commerce ! « Les gens étaient en recherche de producteurs locaux. Ils se sont intéressés à ce qui se passait autour de chez eux, ont discuté avec leurs voisins, ou nous ont trouvés sur Facebook et se sont mis à venir en masse à la ferme. Certains jours, il fallait patienter près d’une heure dans la file d'attente avant de pouvoir acheter son fromage ».

Marie et Yoan ont imaginé un système de parrainage des jeunes chevrettes, dont les parrains choisissaient le prénom. Ci-dessus Corona, née en février 2020
Marie et Yoan ont imaginé un système de parrainage des jeunes chevrettes, dont les parrains choisissaient le prénom. Ci-dessus Corona, née en février 2020

D'un créneau par semaine (le samedi après-midi), l'exploitation passe alors à trois créneaux d'ouverture de la boutique à la ferme par semaine. Les ventes s'envolent, et, alors qu'il craignait d'avoir trop de lait, Yoan Aguer ne livre finalement que 2000 litres de lait en 2020 à la laiterie, sur les 43000 litres produits.

Pour 2021, le rythme devient un peu moins « fou », mais toujours soutenu : Yoan ne livrera à Agrial qu’un peu plus de 3000 de ses 45 000 litres de lait et n'ouvre plus sa boutique à la ferme que deux fois par semaine. Les affaires marchent donc toujours bien, avec un volume de lait correspondant à la demande.

Une sécurisation « sociale »

Toutefois, l'éleveur veut encore faire évoluer son système. Car ces cinq années depuis son installation ont été, certes, une réussite commerciale et technique, mais aussi une épreuve humaine :  Marie a affronté une longue maladie, Yoan a dû recruter en urgence des salariés (dont l'une a dû s'arrêter pour grossesse), et, même, si aujourd'hui, l'éleveur peut compter sur deux salariés et des étudiants en alternance, il continue de travailler parfois 100 heures par semaine au printemps !

"Pouvoir livrer plus ou moins à la laiterie, c'est aussi une soupape en cas de pépin"

«  On court tout le temps ! Avec la maladie de Marie, j'ai pris conscience que lorsque l'on monte un projet à deux, et que l'un des deux a un problème de santé, cela devient extrêmement difficile  pour l'autre ; cela peut remettre en cause toute l'exploitation ». Son projet, à présent, serait d'augmenter doucement et graduellement sa production, à raison de cinq chèvres supplémentaires par an, pour atteindre environ 75 chèvres en lactation et 53000 litres produits par an. Les volumes livrés à la laiterie seraient plus importants, tandis que les volumes transformés augmenteraient aussi, mais pourraient être plus souples, avec, par exemple, un petit arrêt de fabrication au mois d'août.

« Il nous faut lever le pied », exprime l'éleveur. Avec plus de volumes, on pourrait embaucher une personne supplémentaire, voire deux si on développe l'activité agritouristique. Avoir plus de main d’œuvre, c'est plus de souplesse dans notre organisation du travail. Pouvoir livrer plus ou moins à la laiterie, c'est aussi une soupape en cas de pépin ».