Le remplacement agricole a 50 ans (1/4) : Un acteur incontournable de l'agriculture française

Pour les agriculteurs, en particulier les éleveurs, prendre des vacances nécessite de se faire remplacer sur la ferme, souvent grâce à un service local de remplacement. Constitués en associations et organisés en réseau, les services de remplacement sont aujourd’hui 329 en France. Ils viennent de fêter leur cinquante ans d'existence et leurs missions vont bien au-delà des remplacements pour congés. Tour d'horizon avec Christophe Haas, leur nouveau président.

Ils sont une spécificité agricole française : dans les autres pays, on ne trouve aucune organisation ressemblant aux services de remplacement. Pas plus que dans les autres branches d'activité. « Nous sommes la seule profession à avoir ce type de services », commente Christophe Haas, le nouveau président de Service de remplacement France, le réseau national qui fédère les 329 services de remplacement français.

Leur maillage territorial (à l'échelle locale ou départementale), leur fonctionnement associatif avec un grand nombre de bénévoles (3000 agricultrices et agriculteurs mobilisés), leur force de frappe avec pas moins de 15 000 agents de remplacement (dont 16% sont des salariés permanents), en font un outil puissant et unique au service de l'agriculture française. En 2020, 70 000 agriculteurs français étaient adhérents d'un service de remplacement, soit 16% des exploitants français. Parmi eux, une forte proportion d'éleveurs (80%).

Maladie-accident-décès : la priorité

Des milliers d'exploitations, confrontés à la maladie, l'accident ou le décès d'un chef ou d'une cheffe d'exploitation leur doivent leur survie. Ces motifs, souvent imprévisibles et douloureux, sont toujours prioritaires : c'est pour eux qu'ils font le plus d'heures, soit 35% des 5 millions d'heures réalisées en 2020. En nombre de prestations, en revanche, ce sont les remplacements pour congés qui sont les plus nombreux (60% des demandes de remplacement). Mais comme ils sont plus courts que les congés maladies, ils représentent seulement 30% des heures remplacées.

Répartition des 5 millions d'heures de remplacement agricole en 2020. (Source : SR France)

Les services de remplacement sont aussi des acteurs incontournables des congés maternité (deux semaines en 1977, 16 semaines en 2000), et paternité (11 jours en 2002, puis 21 jours en 2021), de la formation et du développement agricole, de l'engagement des exploitants dans des mandats syndicaux (depuis 2003) ou en tant que pompier volontaire (depuis 2014), et, plus récemment, de la prévention des risques de burn-out avec l'aide au répit (lire ci-dessous).

Lors de leur congrès tenu en mai dernier à Bagnoles-de-l'Orne, les services de remplacement ont retracé leurs cinquante ans d'existence, depuis leur officialisation sur le territoire, le 29 septembre 1972, par Pierre Messmer, Premier ministre, et Jacques Chirac, ministre de l'Agriculture. « La base des services de remplacement en France, c'est la volonté de jeunes agriculteurs, en l’occurrence ceux de la JAC [Jeunesse agricole catholique], de s'organiser localement pour se faire remplacer en cas de maladies et accidents et pour des actions de développement agricole », retrace Christophe Haas. « Comme les Jeunes agriculteurs sont un peu les descendants de la JAC, c'est une tradition que ce soit un Jeune agriculteur qui préside le Service de remplacement France ».

Christophe Haas préside Service de remplacement France depuis le 21 juin dernier. En hommage aux pionniers de la JAC (Jeunesse agricole catholique), la présidence du réseau français de remplacement est traditionnellement assurée par un Jeune agriculteur. (Photo : SR France).

Un nouveau président, ancien remplaçant

Élu dans la foulée du congrès de Bagnoles de l'Orne, Christophe Haas succède à Nicolas Sarthou. Âgé de 36 ans et installé dans Bas-Rhin, Christophe Haas est producteur de grandes cultures et éleveur de poules pondeuses. Le remplacement, il l'a vécu d'abord comme salarié. « Juste au moment où je terminais mes études agricoles, mon père a été victime d'un grave accident. C'est donc en étant embauché par le Service de remplacement départemental que j'ai pu assurer la survie de la ferme pendant ses mois d'arrêt ».

Après cette première expérience de salariat, Christophe continue dans d'autres structures agricoles, avant de s'installer lui-même en 2016. La sécurisation de son installation passe alors par la souscription d'un contrat assurance-remplacement, en cas de maladie-accident-décès. Un motif pour lequel il se félicite de « n'avoir pas utilisé le Service de remplacement ». « C'est davantage dans le cadre de mon mandat syndical auprès des JA, ou dans celui d'actions de développement professionnel, que je fais appel au remplacement ».

Christophe fait le lien entre ses mandats auprès de JA (il est vice-président national) et auprès du remplacement en soulignant le rôle fondamental joué par ces organisations pour assurer le maintien, la viabilité et la vivabilité des exploitations agricoles. Il souligne aussi leur rôle de « pépinière » pour des futurs installés. Paradoxalement, et alors que les associations de remplacement sont en perpétuelle recherche de salariés, ce n'est jamais un échec lorsqu'un salarié les quitte : c'est assurément un futur agriculteur adhérent !

Mesure répit : accompagner des agriculteurs en situation d'épuisement professionnel

Depuis 2017, dans le cadre d'un plan global d'accompagnement des agriculteurs en difficulté psychologique, l’État a mis en place la mesure d’aide au répit. Cette action finance l'intervention d'un Service de remplacement durant 7 jours (voire 10 jours pour certains projets) avec un renouvellement possible selon les situations.

Ce sont les travailleurs sociaux de la MSA qui peuvent proposer cette aide à des personnes en difficulté professionnelle et/ou personnelle. Ces travailleurs sociaux peuvent être contactés par les bénéficiaires eux-mêmes, par leur entourage, ou via les outils mis en place par la Profession (association Solidarité paysans, réseau AgriSentinelles, numéro AgriEcoute, cellule Réagir des chambres d’agriculture...).

Ces temps de remplacement permettent aux bénéficiaires de quitter momentanément leur exploitation, pour partir en vacances ou en séjour de repos, pour bénéficier de temps de loisir, ou pour participer à des groupes de paroles, des consultations psychologiques, des séances de sophrologie… « C'est l'occasion de souffler et de reprendre des forces », commente Christophe Haas.

Pour rappel, le métier d'agriculteur est particulièrement vulnérable au burn-out, avec des surcharges de travail, des contraintes importantes (notamment administratives), des aléas climatiques et des crises économiques, et surtout, les astreintes liées au travail avec du vivant : impossible de s'arrêter pour prendre du recul. Une étude MSA publiée en juillet 2019 montre que le risque suicidaire de la Profession agricole est 12% plus élevé que celui de l'ensemble de la population et que les crises accentuent ce risque (+28% lors de la crise du lait des années 2000).

Par leurs conventionnements locaux avec les caisses de MSA, les Services de remplacement sont des acteurs indispensables de cette aide au répit, qui a bénéficié à près de 1000 personnes en 2021. 

Pour rappel : le numéro de Agri'écoute est le 09 69 39 29 19 (prix d'un appel local)

 

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