Le sorgho pas (encore) mûr pour le changement climatique

Mieux armé que d’autres céréales face au nouveau climat, le sorgho reste encore très largement banni des assolements. Ce n’est pas les débouchés qui manquent mais un effet de seuil ainsi qu’un différentiel de marge avec d’autres espèces. Plus pour très longtemps ?

« Il en va du sorgho comme du changement climatique, on a du mal à se projeter dans le futur. Ce qui prime, c’est la rentabilité à court terme alors que l’on sait que le sorgho offrira une rentabilité à moyen terme. On préfère attendre la catastrophe plutôt que de la prévenir ». A l’occasion du troisième congrès organisé par le consortium Sorghum ID, qui se tenait les 12 et 13 octobre à Toulouse, Serge Zaka, docteur-chercheur en agroclimatologie chez ITK, a livré un véritable plaidoyer en faveur du sorgho tout en dénonçant l'immobilisme de notre société face au changement climatique.

A l’occasion du 3ème congrès Sorghum ID, Serge Zaka, docteur-chercheur en agroclimatologie chez ITK, a livré un véritable plaidoyer en faveur du sorgho
A l’occasion du 3ème congrès Sorghum ID, Serge Zaka, docteur-chercheur en agroclimatologie chez ITK, a livré un véritable plaidoyer en faveur du sorgho

A coup de graphiques et de références bibliographiques, l’expert scientifique a montré les vertus du sorgho sur deux paramètres que sont la résistance aux fortes températures et la réponse à l’eau, deux paramètres qui seront de plus en plus critiques et de plus en plus sélectifs vis-à-vis des espèces cultivées. « Comparativement au blé, à l’orge, au maïs et au riz, le sorgho connaît une croissance optimale autour d’une température de 33°C à 34°C quand le maïs et le riz se situent à 30°C et le blé et l’orge à 27°C, explique-t-il. En ce qui concerne la réponse à l’eau, le sorgho est selon la FAO l’espèce qui a le moins besoin d’eau pour sa période de croissance, soit 450 à 600 mm quand le maïs est entre 500 et 800 mm. Quand il y a de l’eau, le maïs est plus efficient pour faire de la matière sèche selon certaines études, mais pas davantage selon d’autres. En revanche, quand l’eau vient à manquer, le sorgho est plus efficient pour produire de la matière sèche, du fait de son système racinaire, de la composition de ses feuilles en protéines et en enzymes et de son cycle végétatif, plus court que celui du maïs ».

Moins de sorgho que de maïs... semence

En en croire les dernières statistiques d’emblavement d’Agreste, ce différentiel n’a pas encore été apprécié à sa juste valeur par les producteurs. En 2021, le sorgho grain a en effet été cultivé sur 85.000 ha, soit à peine plus que le maïs... semence (80.000 ha). Le maïs conso est quant à lui emblavé sur 1,4 million d’ha. L’examen des rendements fournit une grande partie de l’explication. Les prévisions d’Agreste créditent le maïs de 98,1 q/ha contre 59,7 q/ha pour le sorgho. L’envolée des cours et le décrochage systématique du sorgho par rapport au maïs achèvent de tuer le match.

Mais le maïs n’est pas le seul étalon. Le sorgho doit rivaliser avec d’autres espèces comme par exemple le tournesol qui s’apprête à connaître les rendements du siècle, avec en prime des cours de folie. Dans ces conditions, le sorgho n’a plus que ses larmes pour s’irriguer, comme sa sobriété le lui permet. « On assiste à un rattrapage du prix des matières premières mais il faut rester prudent, explique Daniel Peyraube, président de l’AGPM et de Sorghum ID, l’association interprofessionnelle européenne du sorgho. Je pense aussi que les agriculteurs auront toujours davantage besoin de diversifier leur assolement pour gagner en résilience. Aujourd’hui, le maïs s’en sort encore bien sur des terres un peu arides mais le sorgho a indiscutablement une carte à jouer ».

Daniel Peyraube, président de Sorghum ID, l’association interprofessionnelle européenne du sorgho : « Le sorgho a une carte à jouer pour diversifier les assolements et gagner en résilience »
Daniel Peyraube, président de Sorghum ID, l’association interprofessionnelle européenne du sorgho : « Le sorgho a une carte à jouer pour diversifier les assolements et gagner en résilience »

Créée en 2016, Sorghum ID explore tous les leviers - génétiques, agronomiques, commerciaux -  de nature à faire sortir le sorgho de sa marginalité, une problématique pas spécifiquement française, la production mondiale plafonnant autour de 60 à 70 millions de tonnes depuis plusieurs décennies. Le sorgho ne manque pas d’atouts, à commencer par la diversité de ses débouchés, qu’il s’agisse de l’alimentation animale (grain et fourrages), de l’alimentation humaine ou encore de l’industrie (papèterie, matériaux, chimie...) et de l’énergie (éthanol, biogaz). Certains verrous comme la présence de tannins, préjudiciables à la fabrication d’aliment du bétail, ont été levés. Exempt de gluten et de mycotoxines, le sorgho peut se faire une place dans l’alimentation humaine qui, au niveau mondial, assure son premier débouché (50%) devant l’alimentation animale (40%).

"Avec Sorghum ID, on est en train de construire l’avenir du sorgho et l’avenir peut compter sur le sorgho"

Mais l’addition des débouchés ne fait pas du sorgho une espèce majeure et incontournable. La céréale est en butte à cet effet de seuil indispensable pour amorcer une pompe vertueuse, au niveau des organismes collecteurs et des fabricants d’aliments notamment. « Trop éparse, la culture génère des frais d’approche plus importants que ceux d’autres espèces, explique Daniel Peyraube. Mais avec Sorghum ID, on est en train de construire l’avenir du sorgho et l’avenir peut compter sur le sorgho, pour nourrir les animaux, pour participer à la végétalisation de notre alimentation et pour servir des débouchés industriels, sans oublier l’appréhension du changement climatique ».

Face au mur du changement climatique, le sorgho n’est pas encore assez mûr. Mais Sorghum ID est dans les starting-blocks. Il n’y a plus qu’à attendre que ça chauffe un peu plus...