Les céréaliers français s'inquiètent de « la menace russe »

Producteurs, exportateurs, coopératives : ils étaient plus de 500 réunis mercredi à Paris pour une journée de réflexion sur « la menace russe » pesant sur la filière céréalière française, à l'heure où Moscou grignote les marchés historiques de la France.

Alors qu'au milieu des années 2000, la France était « le troisième exportateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires » et conserve la première place de producteur et exportateur de céréales en Europe, elle fait désormais face à « un certain nombre d'obstacles » qu'il faut regarder en face, déclare d'emblée Jean-François Loiseau, président de l'interprofession des céréales, Intercéréales. « La Russie a développé une armada extraordinaire de combat pour, excusez-moi du terme, envahir le terrain de jeu des acheteurs de céréales dans le monde et principalement l'Afrique », poursuit-il. Elle « œuvre de façon extrêmement violente, désintègre un peu les fondamentaux du marché et nous met dans une position difficile. Donc nous devons réagir. La France doit réagir. L'Europe doit réagir », a-t-il plaidé.

 

"Imaginez demain si Vladimir Poutine a dans sa main le blé non seulement russe, mais le blé ukrainien"

Message reçu par le ministre délégué au Commerce extérieur Franck Riester, qui affirme à la tribune : « Nous devons avec vous faire bloc (...) pour faire en sorte que demain, il y ait davantage encore de marchés ouverts aux exportations » au Maghreb, en Afrique subsaharienne ou en Chine.

Le ministre assure ne pas ménager ses efforts, avec le gouvernement, pour « bâtir un plan spécifique de simplification pour les exportateurs ». « Nous savons besoin de baisser les droits de douane, de sécuriser les échanges », dit-il. « Imaginez demain si Vladimir Poutine a dans sa main le blé non seulement russe, mais le blé ukrainien (...) Cette question de la Russie en Ukraine est
absolument [un élément] clé pour l'avenir de votre filière », a-t-il lancé.

Ensemble, la Russie et l'Ukraine représentent plus du quart de l'offre mondiale de blé, soit, selon les prévisions du ministère américain de l'Agriculture, près de 70 des 212 millions de tonnes exportées sur la campagne 2023-24. Une capacité colossale, qui augmenterait encore en temps de paix. Encouragée par les difficultés de Kiev à livrer ses céréales et grains de tournesol, la Russie a lancé une vaste offensive commerciale en Afrique et au Moyen-Orient.

« Jeu politique »

Geste symbolique, Moscou a livré gratuitement quelque 200.000 tonnes de blé à six pays africains. Mais, souligne Yann Lebeau, responsable du bureau d'Intercéréales couvrant l'Afrique subsaharienne, le blé destiné à la Centrafrique, transformé en farine dans des moulins au Cameroun, n'a pas été gratuit pour les populations. Pour lui, si on peut parler de « dons » à un régime, « à la population, non ». Plus dommageable pour la filière française est l'offensive russe en Algérie, désormais « dans le top 5 des pays importateurs de blé russe », souligne Roland Guiragossian, responsable d'Intercéréales pour ce pays.

Graphique à l'appui, il montre l'évolution rapide des échanges: la part de marché de l'ancienne puissance coloniale française qui avoisinait 90% des importations algériennes de blé en 2019-2020 est tombée à 20% pour la campagne en cours (2023-2024).

Dans ce pays, comme dans d'autres en Afrique, l'initiative russe passe par la coopération militaire et en premier lieu la vente d'armes russes, qui représentaient avant l'invasion de l'Ukraine « 50% du marché des ventes d'armes » sur le continent, souligne Thierry Vircoulon, chercheur associé à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).

Le but de Moscou, qui avait avant-guerre des échanges limités avec l'Afrique - 20 milliards de dollars annuels contre 300 milliards avec la Chine et 280 milliards avec l'UE - est, à travers le groupe Wagner (et ses nouvelles déclinaisons), qui conjugue « mercenariat, business et diplomatie secrète », d'abord « de faire de l'argent », puis « d'évincer l'Occident et la France en particulier », affirme le chercheur. La filière céréalière français a conscience d'être au cœur « d'un jeu politique » et a pour cela « besoin d'un accompagnement politique face à la puissance et à l'agressivité russes », a plaidé Philippe Heusèle, céréalier en Seine-et-Marne chargé des relations internationales pour l'interprofession.

Alors que les produits agricoles sont exemptés de sanctions au nom de la sécurité alimentaire mondiale, les Etats baltes ont d'ores et déjà suspendu les importations de produits russes. Et, selon des informations de presse, l'UE envisage désormais de limiter les importations de céréales et d'oléagineux en provenance de Russie et Biélorussie.