Radiographie de la (non) compétitivité de la ferme (et usine) France

La France est de loin le premier pays agricole de l’Union européenne mais le solde commercial des secteurs agricole et agroalimentaire s’amenuise depuis une dizaine d’années, davantage que celui des 26 autres pays membres de l’UE. A la demande du ministère de l’Agriculture, FranceAgriMer livre un diagnostic.

Avec une production agricole équivalent à 77 milliards d’euros (2019), la France est le premier pays agricole de l’UE (18,4%), loin devant l’Allemagne (13,9%) et l’Italie (13,8%). Problème : entre 2011 et 2020, la solde commercial et agroalimentaire est passé de 11,9 milliards d’euros à 6,1 milliards d’euros. Sans les vins et spiritueux, la balance commerciale du secteur aurait affiché un déficit de 4,5 milliards d’euros en 2020.

Selon un rapport de la commission des affaires économiques du Sénat, publié en 2019, la France importe l’équivalent de 20% de ses besoins alimentaires. Sous l’effet d’une stagnation de la production intérieure depuis 2000 et d’un taux de croissance des importations (+87%) supérieur à celui des exportations (+55%) sur la période, l’autosuffisance alimentaire de la France régresse. Depuis 2006, le solde commercial des produits agroalimentaires transformés hors vins et spiritueux est déficitaire et la tendance est à l'augmentation de ce déficit.

La France à la traine au sein de l’UE

La France a abandonné en dix ans 22% de part de marché à l’export quand les 26 autres membres n’en ont perdu que 5%. Cette érosion des parts de marché concerne tous les secteurs, même ceux pour lesquels la France sur-performe comme le vin. Elle est supérieure à plus de 25 % sur dix ans pour les céréales, les fruits et légumes, la pêche et l’aquaculture et les viandes.

La faiblesse des exportations françaises concerne d’abord le marché européen. Alors que le solde grand export a progressé (+70% d’exportations vers les pays tiers en 15 ans), tiré par les exportations vers l’Asie et l’Amérique du Nord, la balance commerciale avec le reste de l’UE est devenue négative en 2015 et ce déficit ne cesse de s’accroître depuis lors.

A la demande du ministère de l’agriculture, FranceAgriMer a réalisé un diagnostic destiné à caractériser la dégradation du solde commercial et l’érosion de la compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires françaises au cours des dix dernières années. FranceAgriMer a mobilisé dix groupes de travail (autant que de filières) et confronté leurs analysés à celles communément relevées dans la littérature. L’analyse a porté sur la la compétitivité prix (capacité à proposer des prix plus bas que la concurrence ou à tenir une baisse de prix sans perdre de parts de marché) et sur la compétitivité hors prix (capacité à gagner ou maintenir des parts de marché en jouant sur la différenciation qualitative, l’image, etc.).

La compétitivité prix dans la littérature

L’examen de la littérature fait ressortir les éléments saillants suivants :

- en agriculture, le coût des consommations intermédiaires (engrais, phytosanitaires, énergie) contribue de manière déterminante à la moindre compétitivité des exploitations françaises par rapport à leurs concurrentes étrangères. En agroalimentaire, le coût du travail serait déterminant, même si les évolutions récentes pourraient faire relativiser ce constat ;

- la productivité totale des facteurs s’est améliorée dans le secteur agricole tandis qu’elle n’a pas progressé dans l’agroalimentaire depuis 20 ans ;

- la fiscalité sur la production, plus élevée en France que chez nos concurrents européens, pénalise les industries agroalimentaires françaises ;

- les coûts de production des autres secteurs, en particulier les secteurs abrités de la concurrence internationale comme les services (juridiques et comptables par exemple) aux entreprises, participeraient de la moindre compétitivité française ;

- tous secteurs confondus, le degré d'exigence des politiques environnementales en France est particulièrement élevé et la France est, parmi les pays européens, un de ceux où ces exigences ont le plus augmenté. Pour autant les études manquent quant à leur impact quantitatif sur la compétitivité.

La compétitivité prix vue par les acteurs

Les groupes de travail citent l’importance du coût du travail mais relativisent la criticité de son impact (sauf pour quelques productions végétales très intensives en main d’œuvre), une relative faiblesse du système français de la formation professionnelle, la très faible attractivité (liée à l’image négative) de certains métiers agricoles ou agroalimentaires limitant la productivité du travail. Ils pointent l’importance des autres charges (engrais, mécanisation, l'entretien des matériels et bâtiments, les amortissements) et la moindre disponibilité des solutions phytosanitaires.

Concernant la productivité, sont pointés des freins parfois récents, voire en germe (accès aux NBT), ou des menaces (renouvellement des générations) au niveau de la production primaire. Dans l’agroalimentaire, le défaut de productivité ressort finalement assez faiblement dans l’expression des groupes professionnels.

A l’amont comme à l’aval, les filières pointent la faiblesse des investissements pour l’innovation comme pour le renouvellement d’outils vieillissants.

La taille des entreprises, plus petite en moyenne, des structures françaises n’est clairement pas un atout, notamment pour conquérir des marchés à l’international. Mais ce facteur peut - ou pourrait, voire devrait - être largement compensé par une bonne coordination des acteurs des filières. Cet aspect plus complexe (coordination des différents maillons) ressort très fortement dans les groupes de travail (importance négative de la pression sur les prix de la grande distribution, manque de promotion collective vers les pays tiers notamment, absence de logique de projet pour lever les difficultés).

Comme la synthèse bibliographique, les groupes de travail pointent l’importance d’être fort sur le marché domestique pour être compétitif à l’extérieur. La situation de ce point de vue est très différente d’une filière à l’autre mais, en dehors de quelques secteurs, les perspectives de développement sur le marché national sont limitées (marchés matures voire en décroissance). La pression déflationniste comme le renchérissement de certains coûts ne favorisent pas cette capacité à dégager, sur le marché intérieur, les ressources (et la rentabilité) permettant d’être agressif sur les marchés étrangers plus dynamiques, notamment les marchés de commodités.

La compétitivité hors prix dans la littérature

L’examen de la littérature fait ressortir les éléments saillants suivants :

- une moins bonne adéquation des produits aux préférences des consommateurs étrangers explique en partie la baisse de compétitivité ;

- des stratégies de différenciation en pleine croissance et un système de signes d’identification de la qualité et de l’origine (SIQO) qui permet d’exporter à des prix plus élevés dans les pays qui les reconnaissent. Ces stratégies restent cependant moins performantes en France que chez certains pays concurrents qui misent également sur d’autres facteurs de différenciation. Par ailleurs, le lien entre origine et qualité n’est pas toujours lisible pour les consommateurs étrangers ;

- sur la formation professionnelle, facteur d’innovation et de qualité de gestion des entreprises, la France reste en retard par rapport à certains de ses concurrents ;

- quelques facteurs d’ordre institutionnel ou de gouvernance grèvent également la compétitivité hors-prix des entreprises françaises.

La compétitivité hors prix vue par les acteurs

Concernant la segmentation des marchés et la différenciation qualitative, le développement des SIQO est un vrai atout pour les filières françaises, sur son marché domestique comme à l’international, permettant soit de gagner des parts de marché, soit de vendre des produits à un prix plus élevé, mais cela ne peut pas être généralisé. Certains consommateurs étrangers n’y sont pas sensibles, et certains marchés internationaux sont, de fait, des marchés de commodités pour lesquels les standards de qualité sont définis internationalement. Les segments de marché les plus dynamiques ne sont pas toujours ceux à plus forte valeur ajoutée (ex : vin). Et la montée en gamme peut laisser le champ aux importations pour les petits prix.

Certains groupes de travail pointent du doigt la difficulté à combiner la différenciation qualitative (coût de la segmentation, développement en croissance mais encore minoritaire) et la conquête des marchés plus standardisés. La capacité à couvrir efficacement plusieurs gammes (au moins le milieu et le haut de gamme) est essentielle mais n’est pas aisé (coût inhérents à la segmentation qui peuvent être prohibitifs quand les dynamiques de marché ne permettent pas de les couvrir).

Comme la littérature, les groupes de travail estiment que les filières françaises sous-estiment certaines dimensions de la compétitivité hors-prix comme le packaging ou le marketing. Ils pointent également la qualité intrinsèque des productions françaises (notamment sur le plan sanitaire) mais déplorent l’insuffisance de visibilité et reconnaissance.

Peu identifiés ou étudiés dans la littérature, la logistique (perte de compétitivité des ports français, manque de containers reefers), la diplomatie économique (difficulté de mobilisation de l’assurance-crédit), la promotion collective, la capacité des opérateurs à assurer une valorisation complète de toute leur production (équilibre carcasse, valorisation des coproduits (dans l’alimentaire, via le secteur énergétique, etc.) sont des éléments essentiels (et souvent fragiles) pour maintenir la compétitivité.

Concernant les accords de libre-échange, l’ambiguïté finalement habituelle ressort entre les filières qui prônent l’ouverture de nouveaux marchés et celles qui craignent la concurrence étrangère. Ces derniers pointent du doigt un élément qui ressort en revanche très largement des groupes de travail est trop peu de la littérature : les distorsions de concurrence du fait de la réglementation.

L’impact de fiscalité sur la production ou sur les facteurs de production est aussi pointé du doigt.

Pas de recommandations

FranceAgriMer précise que l’étude comportait par essence un biais négatif, consistant à cibler prioritairement les points de faiblesses ou les menaces plutôt que les points positifs, ainsi que des des lacunes et faiblesses méthodologiques (pas de recherche systématique de la littérature, niveau de preuve très hétérogène de la littérature, arguments des acteurs économiques pas toujours objectivés).

FranceAgriMer pointe également un certain nombre d’angles morts pour lequel le diagnostic doit être approfondi, notamment en ce qui concerne l’impact des différentes normes et politiques publiques sur la compétitivité.

Conformément au mandat donné à FranceAgriMer, le rapport ne formule pas de recommandations.