Sécheresse 2023 : les restrictions d’eau en ligne de mire

La France sort de l’hiver avec des réserves d’eau au plus bas, selon le dernier bilan du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Même si le printemps est pluvieux, l’eau manquera forcément au cours de l’été, comme l’explique Gaétan Heymes, ingénieur prévisionniste et nivologue chez Météo France. L’agriculture risque d’être de nouveau à la peine.

Perspectives Agricoles : La sécheresse hivernale que l’on observe cette année est-elle due à un phénomène climatique spécifique ?
Gaétan Heymes :
Non, il y a eu assez peu de précipitations cet hiver du fait de conditions anticycloniques durables. Une sécheresse en cette période de l’année, ce n’est pas fréquent mais ça existe. Ce qui est exceptionnel en revanche, c’est l’absence totale de pluie durant 32 jours consécutifs comme cela a été le cas en février dernier. Cumulé à une sécheresse record en été et à un automne particulièrement doux qui a maintenu la végétation active très tard, cela provoque une dégradation sérieuse de l’état des nappes phréatiques. C’est ce qu’explique très bien le BRGM dans son bilan publié le 13 mars.

P.A : Le printemps débute seulement. Que présage la situation actuelle pour cet été ?
G. H. :
Nos modèles permettent de prévoir la météo sur une dizaine de jours environ. On ne peut donc pas savoir s’il va beaucoup pleuvoir au cours des prochains mois. C’est possible, car un printemps très pluvieux n’est pas exclu. Une chose est sûre ou presque :  la problématique sécheresse sera encore présente à l’été. Même s’il pleut beaucoup au printemps, cette eau va surtout servir à accompagner la reprise végétative plutôt qu’à recharger les nappes. Les réserves nivales (eau sous forme de neige) sont aussi faibles et ne constituent pas un stock sur lequel compter pour enrayer le manque d’eau dans les nappes. Finalement, les précipitations printanières, s’il y en a, vont simplement retarder la date à laquelle on « rentrera dans le dur », notamment dans le pourtour méditerranéen au climat estival traditionnellement sec.

P.A : Les scénarios du GIEC prévoient un volume de précipitations similaire à aujourd’hui mais différemment réparti sur la période 2040-2060. Ces projections sont-elles toujours valables ?
G. H. :
Le climat de la France est déjà en train de changer. En ce qui concerne la pluviométrie, il n’y a pas de signal à la baisse du volume de précipitations. Mais il y aura des disparités régionales, avec des tendances de précipitations à la hausse dans la moitié nord, ainsi qu’une plus forte variabilité interannuelle. J’ajoute que cet indicateur n’a pas forcément de sens s’il est considéré de façon isolée. Ce qu’il faut, c’est prendre en compte la disponibilité en eau dans le sol. Celle-ci diminue lorsque les températures augmentent car l’évapotranspiration est alors plus forte. Or sur l’évolution des températures, les signaux sont sans ambiguïté.

 

80 % des nappes phréatiques ont des niveaux modérément bas à très bas au 1er mars

Selon le dernier bilan du BRGM, arrêté au 1er mars, « l’absence de précipitations efficaces durant le mois de février a dégradé la situation des nappes phréatiques françaises », déjà préoccupante. Si la situation est globalement jugée « peu satisfaisante », elle est même alarmante pour les nappes inertielles du Bassin parisien et du couloir Rhône-Saône, « fragilisées par deux recharges hivernales successives déficitaires ». Seules les nappes inertielles du bassin Artois-Picardie, des calcaires jurassiques du Bessin et alluviales de l’Adour et du Gave de Pau présentent des niveaux autour des normales. Alors qu’à partir d’avril les pluies susceptibles de recharger les nappes se font généralement rares, les prévisions sur la disponibilité de la ressource en eau en 2023 sont pessimistes. Le monde agricole doit se préparer à une nouvelle campagne de tension autour de l’irrigation des cultures.