Une expertise collective confirme l’impact des produits phytos sur la biodiversité

Si elles ne sont pas inédites, les conclusions d’une nouvelle expertise collective de l’INRAE-Ifremer invitent à repenser les procédures d’homologation des produits phytosanitaires, via un renforcement des dispositifs de surveillance des impacts, notamment pour jauger l’effet « cocktail ». Une autre expertise est en cours pour évaluer la diversité des couverts végétaux sur la régulation des bioagresseurs.

« L’usage des produits phytopharmaceutiques dans le but de protéger la production agricole et d’entretenir les espaces verts et les infrastructures peut impacter des organismes vivants non ciblés, et par là-même les écosystèmes et les services qu’ils rendent à nos sociétés » : telle est la conclusion d’une expertise collective de lNRAE-Ifremer commanditée par les ministères de la Transition écologique, de la Recherche et de l’Agriculture, dans le cadre d’Ecophyto II+.

Pendant deux ans, 46 experts affiliés à 19 organismes différents ont étudié plus de 4 000 références scientifiques issues de la littérature mondiale. Leur mission a consisté à analyser la robustesse des connaissances actuelles sur l'état de la contamination des milieux par les produits phytopharmaceutiques (molécules de synthèse, produits de biocontrôle) et leurs produits de transformation d’une part et leurs impacts sur les organismes vivants et les services écosystémiques qui en dépendent d’autre part.

Le biocontrôle et ses effets non intentionnels

Faisant suite aux expertises collectives de 2005 et 2008, la dernière en date s’appuie de nouvelles connaissances et de nouveaux outils de diagnostic, le type de molécules autorisées et leurs usages ayant aussi évolué. On pense notamment au biocontrôle (substances naturelles, microorganismes et médiateurs chimiques). « La connaissance des effets non intentionnels des solutions de biocontrôle s’est révélée très lacunaire dans le corpus bibliographique analysé, mais reste nécessaire pour assurer leur durabilité », relève l’étude. Si l’expertise confirme que la plupart des substances et organismes dits de biocontrôle présentent une faible persistance et une faible écotoxicité, quelques-uns font néanmoins exception. L’étude cite par exemple l’échappement de la coccinelle arlequin Harmonia axyridis, qui a conduit à une baisse de la biodiversité des espèces de coccinelles autochtones. Concernant les substances naturelles, les quelques résultats existants indiquent que si la plupart d’entre elles présentent une faible écotoxicité, d’autres (abamectine ou spinosad) ont une toxicité équivalente ou supérieure à celle de leurs homologues de synthèse.

Effets directs et indirects des produits conventionnels

S’agissant des produits phytosanitaires conventionnels, l’expertise fait état d’une large contamination des écosystèmes, avec un pic de contamination dans les espaces agricoles – dans les sols, les petits cours d’eau et l’air – là où ils sont majoritairement appliqués. La contamination touche aussi les zones situées à distance des parcelles cultivées comme les milieux aquatiques et les sédiments, ceci jusqu’à des milieux reculés comme les zones proches des pôles et les grands fonds marins.

Dans les espaces agricoles de la métropole, les produits phytos sont impliqués dans le déclin des populations d’invertébrés terrestres (comme les insectes pollinisateurs et les coléoptères prédateurs de certains ravageurs des cultures), d’invertébrés aquatiques et d’oiseaux communs. De nombreux travaux ont permis d’identifier des effets directs aigus, allant parfois jusqu’à la mort d’individus, ou les effets d’une exposition chronique, dont certains peuvent se transmettre entre les générations. Des effets indirects ont également été constatés. Ils sont essentiellement associés à la réduction des ressources alimentaires (insectes et végétaux éliminés par les produits phytopharmaceutiques) ou à l’altération voire la suppression d’habitats.

La contamination engendre par ailleurs des effets négatifs sur deux services écosystémiques que sont la pollinisation et la régulation naturelle des ravageurs.

A ce propos, l’INRAE indique mener une autre expertise scientifique collective concernant sur l'utilisation de la diversité des couverts végétaux pour réguler les bioagresseurs et protéger les cultures. Ses résultats seront rendus publics à l’automne prochain.

Atténuer les impacts, c’est possible

L’expertise a pointé dans la bibliographie des éléments confirmant la possibilité de diminuer les impacts des produits phytos. L’un d’entre eux a traite des modalités d’application des produits (formulation, performances du matériel d’application, conditions météo...). Un autre réside dans la gestion des sols (couverture, teneur en matière organique...). Les aménagements positionnés autour des parcelles tels que zones tampons sèches (haies, bandes enherbées, etc.) ou humides (mares, fossés, bassins d’orage ou de collecte d’eaux de drainage, etc.) favorisent l’interception et la dégradation des produits. Les caractéristiques du paysage sont également mentionnées. Sont considérés comme aggravants les paysages simplifiés tandis que les mosaïques paysagères, multipliant les interfaces entre zones traitées et non traitées et assurant la connectivité́ des zones refuges, agissent à la fois sur les effets directs en limitant l’exposition des organismes par interception des molécules, et sur les effets indirects en préservant les ressources alimentaires.

Réviser les procédures d’homologation

L’expertise collective n’avait pas vocation à formuler des recommandations mais elle dresse néanmoins un constat concernant les procédures d’homologation des produits phytos. Tout en affirmant que « la réglementation européenne de mise sur le marché et d’utilisation des produits phytopharmaceutiques est une des plus exigeantes au monde, notamment en termes d’évaluation des impacts des substances sur l’environnement », cette même réglementation ne prend pas suffisamment en compte la complexité des effets sur la biodiversité et sous-estime l’effet « cocktail » des substances qui se mélangent et se cumulent dans l’environnement, ainsi que leurs éventuels effets indirects.

Autre enseignement : le dispositif de surveillance des impacts des produits phytopharmaceutiques pourrait également être amélioré en produisant et collectant davantage de données sur la biodiversité dans le cadre de la phytopharmacovigilance et en élargissant le nombre d’espèces et de milieux étudiés.