Vacances, j'oublie tout ? Pas vraiment...

Série d'été : « Le remplacement agricole a 50 ans » (2/4). Prendre des vacances est de moins en moins tabou dans la population agricole. Pour les agriculteurs qui travaillent seuls ou en couple, en particulier pour les éleveurs laitiers, il est indispensable de se faire remplacer. Toutefois, confier sa ferme et son troupeau à un tiers n'est pas facile. Témoignage.

« C'est une loi immuable et je suis sûre que beaucoup d'agriculteurs la connaissent : au moment de partir en vacances, il y a toujours un souci. L'an dernier, c'était une vache à terre, qu'il a fallu relever et qui a retardé notre départ d'une journée. Cette année, une mammite colibacillaire et une boiterie, alors que nous n'en avons pas eu de l'année ! Nous sommes quand même partis, mais les animaux avaient des traitements et nous étions un peu stressés », raconte Clémence Borro, agricultrice en production laitière à Lusanger (44). L'éleveuse vient de rentrer d'une semaine de vacances à la mer, passée avec son compagnon et associé, Gildas Roux, et leurs trois enfants.

Pour Clémence (ici avec ses trois filles), les vacances sont une nécessité « psychologique et physique ».

L'angoisse du premier week-end

Cette année, la poisse des vacances ne s'est pas arrêtée au jour du départ, puisque c'est ensuite la personne chargée d'assurer les traites du premier week-end qui est tombée malade et n'a pas pu assurer celle du dimanche soir. « L'association de remplacement a appelé en urgence le salarié qui ne devait démarrer chez nous que lundi. De mon côté, j'ai réussi à joindre Morgane, notre super stagiaire BTS, pour qu'elle vienne lui donner un coup de main, car il allait commencer la traite très tard chez nous. Ce premier week-end de vacances, c'était l'angoisse, on l'a passé au téléphone ! ».

Heureusement pour Gildas et Clémence, ce second remplaçant, Guillaume, s'est avéré fiable et efficace. « Il a assuré et même bien au-delà de son boulot de remplaçant, reconnaît Clémence. Le lundi, notre vache à mammite colibacillaire était toujours couchée. Guillaume est allé chercher un tracteur et il l'a relevée. Et il nous a envoyé la photo de la vache debout. On a enfin commencé à se détendre ! »

"Ce qui est difficile, ce n'est pas tellement de partir, c'est de confier sa ferme et ses animaux à quelqu'un d'autre ! "

Pour Clémence et Gildas, comme beaucoup d'autres éleveurs, prendre des vacances, du repos, du bon temps en famille, loin de la ferme et de ses astreintes quotidiennes, est une évidence, et même une nécessité « psychologique et physique ». « Il faut s'autoriser de temps en temps à lâcher prise, à revoir nos priorités, à penser à nos enfants qui grandissent vite. Pour les gens qui sont en Gaec à plusieurs, les vacances et les week-ends sont devenues une évidence, car il y a des roulements entre associés. C'est plus difficile pour des éleveurs comme nous, qui travaillent seuls ou en couple ». 

« Ce qui est difficile, ce n'est pas tellement de partir, c'est de confier sa ferme et ses animaux à quelqu'un d'autre ! Mais depuis 4 ans que nous sommes installés, et sauf notre première année, on s'oblige à prendre une semaine par an. C'est moi qui réserve le séjour, en général dès le mois de mars, et c'est Gildas qui gère le contact avec l'association de remplacement », explique Clémence.

Réserver tôt et partir en décalé

Pour le couple, l'adhésion à un service de remplacement dès l'installation était une évidence, d'autant plus que Gildas a lui-même été salarié de remplacement. En Loire-Atlantique, les services de remplacement sont structurés en 25 associations locales. C'est donc auprès d'un des responsables de planning de la Remplaçante, son association locale, que Gildas a soumis, au mois de mars, sa demande d'un remplacement d'une semaine début juillet.

« Comme on n'a pas de céréales, on prend toujours nos vacances début juillet, quand tout le monde est encore aux battages et qu'il n'y pas encore trop de demandes de congés, commente Clémence. On a ainsi plus de chances d'avoir un remplaçant disponible ». Un remplacement pour un motif de vacances n'est cependant jamais 100% garanti : « Notre priorité, ce sont toujours les accidents, maladies et hélas, les décès : nous en avons eu deux l'an dernier », rappelle Adrien Grégoire, le président de la Remplaçante. « On comprend bien et on sait que c'est le jeu, répond Clémence. Pour l'instant nous avons toujours eu quelqu'un ».

Transmettre les consignes et préparer le terrain

Ce « quelqu'un », à qui ils vont confier leur ferme, Clémence et Gildas tiennent toujours à le rencontrer en personne, sur leur exploitation. « Cela nous prend une demi-journée à chaque fois, mais on préfère payer cette demi-journée et prendre notre temps pour bien transmettre toutes les consignes, c'est trop important ! On pose le cadre : le salarié fait la traite avec moi, soigne les veaux, utilise la mélangeuse, la pailleuse, on lui montre tout. En plus, on laisse des tableaux dans les différents bâtiments et dans la salle de traite : tout est écrit ».

La préparation de la venue du salarié de remplacement, c'est aussi décacher les silos, remplir les râteliers, mettre à disposition les sacs de granulés... « On souhaite que son travail soit facile et efficace ». « Quand on part, on laisse aussi au salarié nos numéros de téléphones, celui des deux vétérinaires d'urgence, et celui de notre cédant, Alain, toujours prêt à donner un coup de main ».

Dernière précaution : Clémence et Gildas ne partent jamais bien loin. Par chance, les plages de la Loire-Atlantique et du Morbihan sont à moins d'une heure trente de route de la ferme. Cette année, pour la famille, c'était Pénestin (56), dans le pays de Guérande. Quelques jours de vraie détente, mais un retour un peu difficile, pour cause de fortes chaleurs. « On redémarre sur les chapeaux de roue ». Mais le retour est agréable sur un point : « On a retrouvé la ferme exactement dans l'état où on l'a laissée. Et je crois même que mon troupeau est encore plus calme et zen que d'habitude : notre remplaçant est une perle ! ».

Après une semaine de vacances, la reprise s'est faite « sur les chapeaux de roue », avec une canicule inédite sur la Loire-Atlantique. Clémence Borro prend conscience qu'une semaine de congés par an, « c'est sans doute trop peu ». « Notre prochain objectif sera une deuxième semaine en hiver ».

Un Crédit d'impôt depuis 2006

« Le remplacement nous coûte environ 1500 euros pour une semaine, avant la réduction d'impôt. Mais même sans cette réduction d'impôt, même si on était dans le rouge, on partirait quand même, on ferait l'impasse sur autre chose, c'est trop important », estime Clémence Borro.

Le crédit d'impôt au titre des dépenses de remplacement pour congé des exploitants agricoles a été institué par l’article 25 de la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006. Il a contribué à renforcer la tendance déjà engagée de prise de congés par les agriculteurs. Les demandes de remplacement pour congés sont le deuxième motif de demande de remplacement en nombre d’heures mais le premier en nombre d’utilisateurs.

Le bénéfice du crédit d'impôt est subordonné à la condition que l'activité exercée requière la présence du contribuable sur l'exploitation chaque jour de l'année. Cette condition est réputée satisfaite lorsque l'exploitant exerce une activité d'élevage ; elle doit être démontrée par un calendrier de travaux pour les autres activités agricoles. Le crédit d'impôt est égal à 50% des dépenses de remplacement, dans la limite annuelle de quatorze jours de remplacement pour congé. Ce crédit d'impôt a été reconduit jusqu'au 31/12/2024

 

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Le remplacement agricole a 50 ans (1/4) : Un acteur incontournable de l'agriculture française

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