Vers un futur sans pesticides et désirable, y compris pour les agriculteurs

[Edito] Une étude prospective de l’Inrae dresse les contours d’une Europe sans pesticides chimiques à l’horizon 2050, incluant les impacts sur la production agricole et la souveraineté alimentaire. Le changement de modèle serait donc à notre portée. A condition que nos concitoyens ne s’en tiennent pas seulement au titre de l’étude.

Garantir la souveraineté alimentaire de l’Union européenne tout en lui réservant des facultés exportatrices, renforcer la biodiversité et améliorer l’état général des écosystèmes sous l’effet concomitant de l’abandon des pesticides et d’une biorégulation toujours plus efficiente, réduire les émissions de gaz à effet de serre et augmenter le stockage de carbone dans les sols : on avait peine à l’imaginer, l’Inrae l’a fait. Ou plus exactement, l’a modélisé. L’Institut de recherche a publié le 21 mars les résultats d’une étude prospective avec comme postulat l’abandon total des pesticides chimiques à l’horizon 2050. Par « pesticides chimiques », l’Inrae entend les « pesticides de synthèse et autres substances nocives pour l’environnement et la santé comme le cuivre ». D’où l’absence d’allégations à l’agriculture biologique.

Aucun des trois scénarios échafaudés n’en ménage en effet la moindre micro-dose. Un sevrage total, donc, que l’institut de recherche justifie par « le constat des effets limités des politiques publiques européennes menées par le passé pour réduire l’usage des pesticides en agriculture », justifiant à ses yeux la nécessité de « changer de paradigme » et de passer « d’une démarche incrémentale à une démarche disruptive ». On pense évidemment à Ecophyto, découlant d’une directive européenne (2009/128/CE).

Zéro pesticide mais pas zéro agresseur

Les pesticides disparaissent donc du paysage mais évidemment pas les bioagresseurs. Pour les juguler, l’Inrae invite à repenser la protection et les systèmes de culture, à basculer d’une stratégie de lutte à une stratégie prophylactique, fondée sur la surveillance de la dynamique des bioagresseurs et enfin à mettre davantage l’accent sur les processus biologiques servant à réguler les bioagresseurs. Face au changement climatique dont les incidences vont rendre « plus difficile la prédiction des effets des bioagresseurs sur les cultures », l’institut mise sur la résilience (capacité d’absorber un changement et d’anticiper une perturbation future par une capacité d’adaptation). Concrètement, l’arsenal du futur mobiliserait la diversification des cultures dans le temps et l’espace, le développement de produits de biocontrôle ou de bio-intrants, la sélection variétale, des agroéquipements idoines et autres outils numériques.

Du modèle alimentaire au modèle agricole

Les trois scénarios opèrent une discrimination entre différentes hypothèses de protection des cultures et d’évolution des régimes alimentaires. Résultats : à régime alimentaire constant, le zéro pesticide reste possible mais s’opère au détriment de la balance commerciale agricole européenne ou nécessiterait d’atteindre des rendements plus élevés ou d’étendre la superficie des terres cultivées en Europe. Dans ce scénario, l’Europe serait importatrice nette de calories... comme elle l’était déjà en 2010, relève l'étude. En revanche, les deux autres scénarios, impliquant une baisse de l’apport calorique quotidien (de -14% et -18%), moyennant une baisse (mais pas le sevrage) de la consommation de viande (-34% et -68%), rendraient l’UE exportatrice nette de calories, avec à la clé des bonus en matière de biodiversité et de décarbonation (-20% et -37% d’émissions de gaz à effet de serre), en dépit de la baisse des surfaces de prairies (-28% et -51%).

Des telles transitions ne s’opèreraient évidemment pas d’un claquement de doigts. Elles requerraient des politiques publiques « fortes et coordonnées » ainsi que des « mécanismes pour organiser le partage des risques entre les différents acteurs de la chaîne de valeur », à travers des contrats, ou à l’échelle du territoire. Finies donc la charge mentale et la pression sociétale pesant sur les agriculteurs ? Peut-être. Mais à la condition que nos concitoyens ne s’en tiennent pas au titre de l’étude - Prospective : agriculture européenne sans pesticides chimiques en 2050 -  mais qu’ils en assimilent toutes les incidences au niveau de leur assiette et de leur porte-monnaie.