Vers une sécurité renforcée du stockage à la ferme des ammonitrates

Un projet de décret fixe à 150 tonnes d’ammonitrate à haut dosage le seuil de déclaration au titre des ICPE, vrac et big bag confondus, contre respectivement 250 tonnes et 500 tonnes actuellement. Au motif de sécurité invoqué, la profession oppose une insécurité pour la trésorerie des exploitations et pour la souveraineté alimentaire du pays.

« La nécessité d’étendre la réglementation Installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE, rubrique n°4702) aux installations de stockage où est présent une plus faible quantité d’engrais à base de nitrate d’ammonium sensibles au risque d’explosion est issue du retour d’expérience de plusieurs accidents : l’objectif est d’imposer aux exploitations le respect d’exigences de sécurité et d’en limiter l’usage ». Telle est la justification pointée dans le projet de décret visant à étendre le régime de déclaration contrôlée aux installations où sont susceptibles d’être présents des engrais à base de nitrate d’ammonium sensibles au risque d’explosion en quantité supérieure ou égale à 150 tonnes. Actuellement, l’obligation de déclaration au titre des ICPE s’applique pour des tonnages respectifs de 250 tonnes et 500 tonnes pour le vrac et les big bag.

Trois catégories d’engrais concernés

Sont concernés par ce nouveau classement les engrais dans lesquels la teneur en azote due au nitrate d'ammonium est :

- supérieure à 24,5% en poids, sauf pour les mélanges d'engrais simples à base de nitrate d'ammonium avec de la dolomie, du calcaire et/ou du carbonate de calcium, dont la pureté est d'au moins 90% ;

- supérieure à 15,75% en poids pour les mélanges de nitrate d'ammonium et de sulfate d'ammonium ;

- supérieure à 28% en poids pour les mélanges d'engrais simples à base de nitrate d'ammonium avec de la dolomie, du calcaire et/ou du carbonate de calcium, dont la pureté est d'au moins 90%.

Des délais d'aménagement

Soumis à une consultation publique jusqu’au 15 février, le décret devrait entrer en vigueur le 1er août 2022. Un projet d’arrêté fixe le calendrier de mise en œuvre des aménagements requis, compris entre six mois et trois ans à compter de cette échéance du 1er août. Les aménagements en question sont décrits dans l’arrêté du 6 juillet 2006 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées soumises à déclaration sous la rubrique n° 4702. Les prescriptions visent à prévenir leur risque de contamination avec des matières combustibles ou incompatibles par des mesures organisationnelles, à protéger les stockages des risques de propagation d’incendie par l’obligation du respect des distances d’isolement ou par la mise en place de dispositions constructives adaptées et par le recours à des équipements électriques qualifiés et enfin à disposer de moyens techniques et organisationnels pour lutter efficacement contre un sinistre et en réduire ses effets.

Les suites d’un rapport du CGEDD paru en 2021

Le projet d’abaissement du seuil de déclaration des ammonitrates à haut dosage fait suite à la publication, en 2021, d’un rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) sur la gestion des risques liés à la présence d’ammonitrates dans les ports maritimes et fluviaux, motivé par l’explosion du port de Beyrouth en août 2020. Le rapport avait dédouané les ports français, bénéficiant d’un « encadrement clair » et d’un « contrôle formalisé ». Les ports concernés (Nantes, Rouen, Honfleur, Saint Malo, Le Légué, Les Sables d’Olonne et Rochefort,) reçoivent environ 130.000 tonnes sur les 1.500.000 tonnes d'ammonitrates à haut dosage consommés en France. La grosse majorité emprunte la route, depuis les deux usines françaises sinon les usines polonaises, lituaniennes, britanniques et belges.

"Plusieurs pays européens interdisent l’utilisation d’ammonitrates à haut dosage"

En revanche, s’agissant du transport des ammonitrates sur les voies fluviales concernées (Seine, Rhin, Moselle), représentant 50.000 tonnes, le rapport avait pointé des « situations ponctuelles qui paraissent anormales de déchargements d’ammonitrates haut dosage dans des conditions de sécurité non optimales ». La mission du CGEDD avait aussi constaté que les obligations de contrôle des très nombreuses installations de stockage d’ammonitrates soumises à déclaration n’étaient souvent pas respectées. Le CGEDD en avait profité pour poser son regard sur les cours de fermes et noté que les incidents mettant en cause les ammonitrates, tels que les incendies, étaient « nombreux » dans les fermes. Le CGEDD regrette que les ammonitrates ne font pas l’objet d’une information simple et volontariste sur les risques en direction des agriculteurs ainsi que sur les bonnes pratiques en matière de stockage. Et de relever que « plusieurs pays européens interdisent l’utilisation d’ammonitrates à haut dosage », porteurs également de risques criminels (attentats).

« Encore une menace pour la souveraineté alimentaire »

Dans un communiqué commun, neuf organisations agricoles, dont la Coopération agricole, la Fédération du négoce agricole, l’Unifa et la FNSEA, ont dénoncé « un énième arbitrage règlementaire sans fondement scientifique, ni mesure d'impact sur la Ferme France et la souveraineté alimentaire du pays.». Elles estiment que 30 à 50% des sites de stockage de proximité pourraient fermer et que les producteurs concernés par la déclaration ICPE supporteraient des coûts de mise au normes compris « entre 80.000 et 120.000 euros par exploitation ».