Yara France : « Il y a 10% à gagner sur le pilotage et 10% sur la forme d’engrais azoté »

A l’occasion d’un webinaire consacré au présent et au futur de la fertilisation, Nicolas Broutin, président de Yara France, s’est exprimé sur l’envolée du prix des engrais, les leviers d’adaptation aux plans technique et commercial, la Loi Climat potentiellement porteuse d’une redevance ou encore sur la décarbonation de la filière. Morceaux choisis.

Pas de baisse de prix à l’horizon

Nicolas Broutin : « Aujourd’hui, je n’anticipe pas de baisse de prix. Le marché est dans une phase de consolidation. On observe des mécanismes de limitation à l’exportation. Sur les dix premiers exportateurs d’urée dans le monde, quatre ont aujourd’hui des mesures de quota d’export. La Chine a bloqué l’ensemble de ses exportations jusque fin juin 2022. La Russie vient d’annoncer un plafonnement à 6 millions de tonnes. L’Égypte a mis en place un quota de 65% alloué à l’approvisionnement de son marché domestique. Tous ces phénomènes entretiennent une très forte fermeté sur le marché ».

Pas de rétention chez les industriels

Nicolas Broutin : « On est avec les ammonitrates sur une matière extrêmement réglementée, avec des stocks limités et surveillés. Un producteur ne peut en aucun cas créer un stock dans son usine, ce sont des produits soumis à une logistique permanente, on a des taux de rotation de l’ordre d’un mois, si ça ne bouge pas sous 4 à 6 semaines, ça bloque, donc il n’y a aucune rétention à la production ».

Nicolas Broutin, président de Yara France
Nicolas Broutin, président de Yara France

Un déséquilibre entre l’offre et la demande

Nicolas Broutin : « Il y a un déséquilibre entre l’offre et la demande au niveau mondial et ce déséquilibre a des répercussions directes en France car la France importe 70% de ses engrais azotés. On a constaté sur le premier semestre 2021 une moindre production de l’urée, le premier engrais azoté simple dans le monde, de l’ordre de 5% par rapport au 1er semestre 2020. L’offre se dégrade tandis que la demande est plus forte du fait d’une ambiance de rebond économique. Il y a aussi une croissance naturelle de ce marché qui est de l’ordre de 2 à 3% car et on a besoin de nourrir plus de monde, et en plus on observe un changement des régimes alimentaires qui appelle beaucoup plus de production ».

Existe-t-il un risque de pénurie au printemps 2022 ?

Nicolas Broutin : « Je n’ai jamais vraiment cru à ce scénario. Il est vrai qu’il y a des problématiques de transport maritime et terrestre. En France, c’est très compliqué d’acheminer des produits actuellement dans plein de secteurs. Néanmoins, on reste sur des commodités où on peut très vite rattraper des écarts de marché qui sont de l’ordre 10 à 15%. S’agissant de Yara en France, nos deux usines, situées près de Bordeaux et de Nantes, tournent à plein régime. A Bordeaux, on fabrique exclusivement des ammonitrates tandis qu’à Nantes, on fabrique des ammonitrates et des engrais ternaires NPK. Je ne vois pas de pénurie car on est dans le marché et on offre tous les jours des volumes, des volumes habituels. Aujourd’hui on est plutôt sur du janvier voire février dans nos offres mais ça fonctionne ».

Le prix de l’azote peut-il devenir prohibitif ?

Nicolas Broutin : « On arrive à une certaine limite clairement. L’urée, départ Égypte septembre 2020, c’était 250 dollars la tonne, septembre 2021, c’était 450 dollars, et aujourd’hui on parle plutôt de 1000 dollars. Le point technico-économique d’équilibre devient tout à fait questionnable. Une destruction de demande pourrait s’observer, avec la mise en place de cultures moins consommatrices d’azote. Cependant, on a vu que les semis de blé sont plutôt stables et ceux de colza en forte augmentation, cela signifie que pour les perspectives de printemps 2022, on est quand même sur une sole qui atteste une stabilité de consommation d’azote en France ».

Acheter en morte-saison en 2022, quel que soit le prix ?

Nicolas Broutin : « Le marché des engrais est très volatile, avec des éléments géopolitiques qui peuvent être extrêmement brutaux. On est capable d’analyser la tendance mais on se trompe toujours sur l’amplitude. Comme c’est volatile, il vaut mieux fractionner ses achats. Il y a a minima trois périodes d’achats, que sont la morte-saison, un marché de stockage au quatrième trimestre et un marché de réapprovisionnement. Il faut peut-être faire trois tiers, en fonction de sa stratégie et de sa trésorerie ».

10% à gagner avec les outils de pilotage

Nicolas Broutin : « Aujourd’hui, le Nitrogen use efficiency, ou coefficient d’utilisation de l’azote, est compris entre 75% et 90%. Beaucoup de chemin a été accompli et la France se situe dans le haut de la fourchette. Mais il existe une marge de manœuvre. Les engrais ont été perçus comme un second métier, comme un marché de commodités. Or il y a de la technicité, de la complexité, il faut que l’on prêche la bonne parole sur le pilotage, que l’on développe les outils, il y en a un certain nombre. C’est là que le développement doit se faire, il y a 10% d’efficacité à la clé ».

10% à gagner sur la forme d’azote

Nicolas Broutin : « Outre le pilotage, il y a un second levier d’efficacité de l’ordre de 10% lié à la forme d’engrais car toutes ne sont pas équivalentes. Certaines formes d’engrais émettent beaucoup d’ammoniac lors de leur application, de l’ordre de 13% pour l’urée. 13%, sur une urée à 1000 euros, c’est 130 euros de perdus ».

La redevance, une fausse bonne idée

Nicolas Broutin : « Pour répondre à la loi Climat, qui prévoit l’instauration d’une redevance en fonction des évolutions de la trajectoire des émissions de protoxyde d’azote et d’ammoniac, il nous faut travailler à la réduction des émissions. Sur les émissions d’ammoniac, la réponse est très claire : la forme d’azote est prépondérante. Les formes nitrites, sous forme d’ammonitrate, sont moins émissives que les formes uriques. Sur le protoxyde d’azote, il faut travailler l’agronomie, les pratiques, le fractionnement, le pilotage, car le protoxyde d’azote n’est pas issu des engrais mais des utilisations des engrais au champ. Dans les pays européens où une redevance a été mise en place, on n’a vu de baisse de consommation d’azote ».

Où en est la décarbonation de l’industrie des engrais ?

Nicolas Broutin : « Chez Yara, on produit actuellement 9 millions de tonnes d’ammoniac et d’ici à 2030, on devrait être capable d’en décarboner 3 millions de tonnes. La décarbonation passe par la production l’ammoniac vert, se substituant à l’ammoniac du gaz naturel, et produit à partir d’hydrogène vert. Cet hydrogène vert est lui-même produit par des électrolyseurs alimentés par de l’électricité photovoltaïque, éolienne et hydro-électrique. Nos trois premiers projets concernent des usines situées en Australie, aux Pays-Bas et en Norvège. La production de nourriture est extrêmement liée à la question énergétique. Il n’y a pas d’autonomie alimentaire sans autonomie énergétique ».