Agriculture urbaine : des potagers sur les toits recyclent nos déchets

« C’est la première fois qu’une équipe de recherche mesure les services écosystémiques rendus par des potagers sur les toits. Qui plus est alimentés uniquement par des déchets urbains», explique Baptiste Grard, doctorant et co-auteur de l’étude.

Dans la ville, la gestion des déchets, les épisodes de canicule, les risques d'inondations liées notamment à l'imperméabilisation des sols et l'approvisionnement alimentaire sont autant de défis pour rendre les villes plus durables, plus soutenables et plus vivables. Face à ces défis, les scientifiques s'intéressent à leur végétalisation, comme l'une des solutions, notamment pour produire des ressources alimentaires et retenir de l'eau. L'espace au sein des villes étant limité, l'exploitation des toits s'est imposée comme une réponse évidente à ce déficit.

C'est ainsi que pendant deux ans, des chercheurs de l'INRA et d'AgroParisTech ont mis à l'épreuve de la science la pratique innovante des potagers sur les toits, dont les résultats ont été publiés, avec le soutien du DIM ASTREA*, de l'INRA, de la Chaire éco-conception ParisTech-Vinci et d'AgroParisTech, dans le journal « Agronomy for sustainable development », le 19 décembre 2017. Bilan de l'expérience, un bon niveau de récoltes et des services écosystémiques au rendez-vous : rétention d'eau de pluie, recyclage des bio-déchets et stockage de carbone. Seul défaut noté par les chercheurs, la contamination des eaux de drainage du système par du carbone dissous.

Pour l'équipe, l'agriculture des toits pourrait devenir plus qu'un phénomène marginal au cœur des mégapoles. En effet, les toits peuvent représenter jusqu'à 32% des surfaces horizontales des villes (Oberndorfer et al.2007). De plus, le phénomène de conquête agricole des toits est aujourd'hui porté par de nombreuses collectivités dont celle de Paris, au travers d'appels à projets [cf pour Paris : l'app ParisCulteurs ou objectif 100Ha. Preuve de cette dynamique, l'expérimentation a d'ailleurs participé à la naissance de deux entreprises aujourd'hui bien implantées : Topager et Cultures en ville.

Une technique utilisée depuis les années 80

C'est sur le toit de l'école AgroParisTech (baptisé « Bertrand Ney », du nom du professeur, aujourd'hui décédé, à l'origine de sa création) dans le 5ème arrondissement de Paris que l'équipe de recherche a mis en place un potager aérien avec trois objectifs principaux : valoriser les ressources de la ville, concevoir un système de culture low-tech simple à conduire  et ne pas recourir à l'utilisation d'intrants chimiques (pesticides ou engrais). Les résultats présentés dans cet article correspondent à deux années (de mars 2013 à mars 2015) où ont été cultivées salades, tomates cerises et engrais verts dans 9 bacs en bois type compostières de 90x90x40cm.

S'inspirant d'une technique utilisée dans les jardins depuis les années 80 (i.e. la culture en lasagne), les chercheurs ont comparé deux compositions de sol différentes à un témoin. Le premier bac (1) contient un Technosol (i.e : un sol constitué de matériaux apportés par l'homme) composé à parts égales de compost de déchets verts et de bois broyé (issus tous deux de l'entretien des espaces verts) ; le second (2) substrat est de même composition que le premier, mais avec l'ajout de trois différents types de vers de terre afin d'accélérer la biodégradation des résidus organiques. Le troisième bac (3) contient un sol témoin, un terreau industriel que l'on trouve dans toute jardinerie.

L'équipe s'est concentrée sur quatre services écosystémiques : l'approvisionnement alimentaire (quantité et qualité des récoltes), le recyclage de déchets, la régulation des eaux de pluies (quantité d'eau de pluie retenue et qualité des eaux de drainage) ainsi qu'au stockage de carbone potentiel de ces systèmes :

  • Approvisionnement alimentaire : les niveaux de production atteints sont supérieurs à ceux de jardin familiaux en plein sol et proches de ceux obtenus par des maraîchers professionnels en agriculture biologique dans la Région. Les plus forts niveaux de rendement sont atteints dans les Technosols en présence de vers de terre (2). La qualité est aussi au rendez-vous : aucune des récoltes ne dépasse les normes pour les métaux lourds mesurés et réglementés.
  • Concernant le recyclage des résidus urbains, c'est au Technosol enrichi de vers (2) que revient aussi la palme de l'efficacité, avec une diminution de 50% de l'épaisseur du substrat sur la première année (par tassement et par consommation des éléments nutritifs du « sol » par les plantes). Le Technosol sans vers (1) et le bac témoin (3) montrent quant à eux une diminution de l'épaisseur du substrat de 36 et 31% respectivement (traduisant une consommation annuelle moindre de déchets par le système de culture).
  • Sur la rétention des eaux de pluie, les résultats sont semblables entre le témoin (terreau) (3) et les Technosols (1 et 2), avec de 74 à 84% des eaux de pluies retenues. Par rapport à un toit nu, cette expérience montre donc tout l'intérêt d'installer des bacs de culture pour lutter contre le ruissellement.  
  • En ce qui concerne l'impact de l'installation sur les eaux usées sortant des bacs, les Technosols (1 et 2) retiennent, sur les deux années d'expérimentation, plus de nitrates qu'ils n'en rejettent. À la différence du terreau (3) tout particulièrement en début d'expérimentation. C'est en revanche l'inverse pour le relargage de carbone dissous dans les eaux de drainage : le terreau (3) en libère moins que le Technosol (1), la présence de vers dans le bac (2) aboutissant au rejet le plus important.

Rompre la monotonie des paysages urbains et créer des villes à haut niveau de service écosystémique

Un équilibre est encore à trouver entre un sol suffisamment riche pour assurer une bonne productivité des plantes tout en limitant la dissolution du carbone dans l'eau, mettent en garde les chercheurs. Toutefois, le bilan de ces installations reste très positif. Ces dernières permettent de recycler des déchets organiques voués aujourd'hui majoritairement à l'enfouissement ou à l'incinération. Sans oublier que la réutilisation des déchets des villes permet d'éviter l'importation de terreau, l'utilisation de fertilisants chimiques, ainsi que la prise en charge du traitement et du transport des ordures vers les décharges, au profit d'une valorisation locale.

En outre, la liste des autres bénéfices potentiels de cette agriculture sur les toits peut encore s'élargir: depuis la prévention des inondations (par la rétention d'une partie des écoulements) au rafraichissement de la ville, cette agriculture peut participer à la préservation de la biodiversité, favoriser la pollinisation, servir d'espace pédagogique où à visée sociale tout en rompant avec la monotonie grisâtre des paysages urbains en apportant une plus-value paysagère.

« On parle beaucoup en ce moment des circuits courts, l'agriculture urbaine est une opportunité de transcrire cette logique au cœur des mégapoles en apportant une valeur sociétale et environnementale », conclut Christine Aubry, chercheuse à l'INRA et co-auteure de l'étude.

Référence publication:

Baptiste J.-P. Grard, Claire Chenu, Nastaran Manouchehri, Sabine Houot, Nathalie Frascaria-Lacoste, Christine Aubry.
Rooftop farming on urban waste provide many ecosystem services. Agronomy for Sustainable Development (2018) 38:2. https://doi.org/10.1007/s13593-017-0474-2.

Contact(s) :

- Nicolas Plantey, chargé de projet DIM ASTREA nicolas.plantey@inra.fr

- Baptiste Grard, UMR Ecologie fonctionnelle et écotoxicologie des agroécosystèmes (Inra, AgroParisTech)

- Christine Aubry, UMR Sciences pour l'action et le développement: activités, produits, territoires (Inra, AgroParisTech)

- Claire Chenu, UMR Ecologie fonctionnelle et écotoxicologie des agroécosystèmes (Inra, AgroParisTech)