Accord UE-Mercosur : quel impact sur le marché européen de la viande bovine ?

Le Mercosur est un marché commun mis en oeuvre début 1995, sur le modèle de la CEE, mais pas (encore) un marché unique. Il concerne aujourd’hui le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay. Le Venezuela, qui en était membre de 2012 à 2016, en est aujourd’hui exclu pour des raisons politiques, et la Bolivie est en phase d’adhésion. Il s’agit d’un bloc de 265 millions d’habitants, avec deux poids lourds : le Brésil (79 % de la population et 75 % du PIB) et l’Argentine (18 % de la population et 21 % du PIB).

La particularité de ce marché commun du cône Sud est d’être une des zones émergentes parmi les plus protectionnistes au monde et qui a signé très peu d’accords de libre-échange, sauf avec ses voisins latino-américains. En dehors du continent Sud-Américain, le Mercosur n’a ainsi que quelques accords avec l’Inde, Israël et la SACU (Afrique Australe). Pour l’UE, il s’agit donc de bénéficier d’un accès privilégié à un marché émergent auquel peu de concurrents auront accès… même si ces quatre pays traversent actuellement une profonde crise économique et monétaire.

La dissymétrie avec l’UE, même réduite à 27, est considérable, avec un PIB européen sept fois supérieur à celui du Mercosur. En 2017, l’UE était très nettement excédentaire dans ses échanges avec le Mercosur en biens industriels (+ 27 Md €) et en services (+ 12 Md €) tandis que le Mercosur était excédentaire pour les produits agricoles et alimentaires (+ 20 Md €), l’énergie et les minerais (+ 4 Md €). Cela marque d’emblée les intérêts respectifs des deux parties.

Le projet d’accord entre l’UE et le Mercosur, négocié depuis 1999 et rendu public le 29 juin 2019, prévoit la libéralisation de 92 % des importations en provenance du Mercosur en 10 ans (et 91% des importations du Mercosur en provenance de l’UE). La libéralisation (annulation des droits de douane) sera totale pour les produits industriels importés en UE, mais concernera aussi 82 % des importations européennes de produits agricoles et agroalimentaires.

Comme pour le CETA (Accord UE-Canada) en 2017, le Premier Ministre français a nommé une Commission indépendante d’évaluation du projet d’accord, sous la présidence de Stefan Ambec. Le rapport a été rendu public mi-septembre 2020. Il s’agissait d’analyser les dispositions pouvant avoir un impact sur le développement durable (dans toutes ses dimensions), sur les émissions de GES et la biodiversité, sur la capacité des États à réguler dans les domaines sanitaires et environnementaux, et bien évidemment de formuler des recommandations.

Nous avons choisi de focaliser cet article sur les viandes bovines. C’est un secteur particulièrement emblématique des enjeux économiques, sanitaires, environnementaux et du bienêtre animal. En effet, les modes d’élevage de bovins viande pratiqués notamment au Brésil, mais aussi en Argentine et au Paraguay sont accusés de contribuer fortement à la déforestation, davantage encore que des cultures comme la canne à sucre ou le soja.

La viande bovine dans l'Accord

 La disposition la plus importante est l’ouverture progressive en 6 ans de deux contingents tarifaires : 54 450 téc (tonnes équivalent carcasse) de viandes réfrigérées et 44 550 téc de viandes congelées, avec un droit de 7,5 %2. Il est aussi prévu la suppression immédiate du droit de 20 % pour les exportations du Mercosur au sein du contingent Hilton Beef.

Enfin, les droits de douane européens seront annulés en 4 ans pour les préparations de viandes cuites (16,6 % actuellement) et en 10 ans pour les autres préparations et les bovins vivants hors reproducteurs (par exemple, les broutards).

L’attrait toujours fort du marché européen pour les exportateurs mercosurien

Les exportations totales de viandes bovines des 4 pays du Mercosur ont fortement rebondi depuis 2015. Elles ont atteint 3,7 Mtéc en 2019, un record absolu. Dans ce contexte, la place de l’UE dans ces exportations a chuté sur la dernière décennie, principalement au profit de la Chine.

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Cependant, l’UE achète toujours près de la moitié (44 %) des exportations de découpes réfrigérées des pays du Mercosur, de loin les mieux valorisées. Les exportateurs du Mercosur, principalement 3 Global Players ayant leurs sièges au Brésil (JBS, Marfrig et Minerva) ont une stratégie de diversification de leur portefeuille de clients à travers le monde afin de pallier aux fermetures sanitaires et politiques, cherchant à chaque fois le marché le plus valorisant pour tel ou tel type de muscle.

En valeur, l’UE représente ainsi entre 16 et 17 % de la valeur des exportations mercosuriennes de viande bovine. Nous avons schématisé les destinations privilégiées pour une carcasse typique de jeune bovin brésilien de type zébu :

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Si l’expansion de la demande chinoise est actuellement le moteur de la croissance de la production de viande bovine du Mercosur, la demande européenne supplémentaire d’aloyaux serait également une puissante motivation à produire plus : il existe une synergie entre la demande européenne pour des pièces d’aloyaux et la demande asiatique qui porte davantage sur des avants, des globes et des abats.

Une analyse des risques de l’Accord UE-Mercosur

Les évaluations d’impact ex ante des accords de libéralisation commerciale restent des exercices délicats. Il s’agit en général bien davantage de mettre en exergue les risques et les opportunités. L’illustration dans cet article concerne la filière viande bovine et les impacts en termes de risques économiques et sanitaires côté européen, et d’atteinte à la biodiversité des deux côtés de l’Atlantique. Sous le titre général « une occasion manquée », la Commission Ambec a ainsi formulé 11 recommandations pour réviser cet Accord et préparer de futurs accords de « nouvelle génération ».

Elles concernent notamment les méthodes d’évaluation ex ante et le suivi ex post des impacts, la clarification du principe de précaution, la promotion de l’Accord de Paris sur le Climat au titre de clause essentielle, l’inclusion des modes de production dans les contingents ouverts ou encore les nouvelles disciplines environnementales à inclure dans ce type d’accord bilatéral.

PRISME - L’analyse de la conjoncture et de l’actualité agricole et agroalimentaire - Décembre 2020