Agribashing et foodbashing : même combat ?

Alors qu’en 2018 et pour la 3ème année consécutive, la France était première au palmarès décerné par The Economist, qui récompense les modèles agricoles vertueux, les reportages pointant du doigt la nocivité des produits agricoles et alimentaires se succèdent. A qui cela profite-t-il ?

Alors que l'agriculture française est considérée en Europe comme l'une des plus vertueuses qui soient, l'opinion publique fait preuve de défiance à l'égard de l'alimentation. « Quand on allume la radio, on a la perception d'une manière générale que les Français sont inquiets et qu'ils n'apprécient pas leur agriculture ni les agriculteurs. » Pourtant, Jean-Daniel Lévy, directeur du département politique et opinion de l'Institut Harris Interactive , explique que « quand on fait des enquêtes d'opinion, on a pratiquement 80% des Français qui ont une bonne image des agriculteurs », à l'occasion d'un débat organisé par le groupe de travail « Oui à l'innovation ! » le 27 novembre. Il poursuit : « d'ailleurs quand vous regardez les mobilisations des agriculteurs, elles sont extrêmement soutenues (...) même quand il y a des actions violentes ou des actions qui dépassent le cadre de la légalité. » Pourtant, pour le politologue Eddy Fougier, agriculture et agroalimentaire font face à un nouvel élément : « le risque sociétal ».

« Infobésité »

Cette défiance à l'égard des produits alimentaires est née à la fin des année 1990 avec la crise de la vache folle et l'affaire du poulet à la dioxine. Jean-Daniel Lévy analyse qu'il y a eu « une rupture très nette et des interrogations de la part des Françaises et des Français sur : qu'est-ce qu'on nous fait manger, boire et respirer ? » Ces inquiétudes sont régulièrement alimentées par des reportages étiquetant les produits agroalimentaires comme « mauvais pour la santé ». A cela, il faut ajouter une perte de confiance à l'égard de la parole des scientifiques, parfois organismes certificateurs, qui suscitent doute ou suspicion « de collusion » avec des parties prenantes du monde de l'alimentation. Donc une perte de confiance à l'encontre de l'ensemble de la filière.  

Pour Alexis Roux de Bézieux, président de la Fédération des Epiciers de France « le consommateur souffre d'infobésité » et il a besoin d'un tiers de confiance, pour « être rassuré. » Il ajoute « le consommateur n'a jamais été autant perdu, pourtant il n'a jamais eu autant d'information. » Pour se décider, le Français se tourne vers lui-même, « être son propre expert », comme c'est le cas avec l'application Yuka(1), qui compte aujourd'hui près de 14 millions d'utilisateurs.

Pour le directeur du département politique et opinion chez Opinion Way, il est important de noter que « ce n'est ni la qualité alimentaire ni la performance énergétique » qui sont remises en cause, mais une préoccupation grandissante à l'égard des enjeux de santé. Pourtant, « la saison des confiseurs a battu tous les records pour Halloween » ironise Richard Girardot, président de l'Association Nationale des Industries Alimentaires (ANIA).

Convergence d'intérêts

« En France tout ce qui est gros est suspect (...) et accusé de vouloir faire de l'argent » analyse Jean-Daniel Lévy. Et pour le président de l'ANIA, c'est souvent l'industriel qui est en première ligne. D'après lui dans le secteur de la distribution, « les centralisés ont pris un TGV dans la figure à cause des indépendants » qui représentent maintenant 50% du secteur. Il pense même qu'il faut ajouter « distribashing » à agribashing et foodbashing.

Eddy Fougier explique : « les médias savent que s'ils tapent sur un gros, un puissant ou un système et qu'ils défendent les petits, les dominés et les victimes, ça va fonctionner ! » Mais pour le politologue, « il y a convergence d'intérêts » ; « sans doute qu'il y a un certain nombre d'organisations pour la défense du bien-être animal qui jouent le rôle "d'idiot utile" pour des acteurs dans les substituts de viande etc. ». Mais pour le président de l'ANIA, ce sont les médias qui sont les grands gagnants de la défiance face à l'alimentation. En effet, le phénomène de reportages télévisés consacrés aux effets néfastes de l'alimentation sur la santé prend de l'ampleur. Pour le politologue, « il y a un problème avec France Télévisions et Radio France et leur perception du monde agroalimentaire et agricole. » Pour lui, certains journalistes font du militantisme déguisé. « Ce qui fait vendre, c'est de faire peur » insiste Alexis Roux de Bézieux. Pour remettre un peu d'ordre et limiter les fake news, des représentants de la presse française, journalistes et citoyens, vont créer à Paris le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM). Ce conseil, sans rapport avec des acteurs économiques, ne pourra pas censurer mais aura le pouvoir d'émettre un avis.

« On n'a pas encore trouvé la martingale »

Les distributeurs et les agriculteurs sont dépassés. A leur main pour tenter de rivaliser, la communication et la transparence. Les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à ouvrir les portes de leur exploitation au grand public et ont lancé des opérations de transparence notamment sur les réseaux sociaux. Mais Richard Girardot le reconnaît volontiers : « on n'a pas encore trouvé la martingale. » Pour l'agroalimentaire, deux opérations sont en cours, 150 unités de production alimentaire ont reçu près de 5000 visiteurs au début du mois de novembre et les plus « gros » distributeurs ont opté pour les messages publicitaires « Leclerc, Carrefour et Lidl ont dépensé 350 millions d'euros bruts chacun » en 2018, déclare le patron de l'ANIA. Il est question de campagnes « émotionnelles », pour tenter de rivaliser avec leurs détracteurs qui jouent sur la corde sensible.

 

1) Yuka : application mobile qui permet de scanner les produits alimentaires et d'obtenir une information sur l'impact du produit sur la santé.