Quand les agriculteurs deviennent explorateurs

Grâce au réseau Nuffield, de jeunes agriculteurs partent à l’étranger à la découverte de techniques, de concepts ou de matériels pouvant venir enrichir l’agriculture française. Rencontre avec trois « agriculteurs-explorateurs » ayant mené chacun des sujets de recherche inspirants.

Après plusieurs années d'expérience professionnelle, ils se sont remis aux études. Non pas sur les bancs d'école, mais dans des fermes néerlandaises, des salons agricoles allemands ou encore des laboratoires de recherche américains. Chaque année, grâce à l'association Nuffield France, trois lauréats du monde agricole reçoivent une bourse leur permettant de voyager dans le monde entier, de rencontrer des professionnels de tous les pays et d'approfondir un sujet qui leur tient à cœur. Le tout en poursuivant leur activité professionnelle en tant que salarié ou exploitant agricole. Ces jeunes agriculteurs-explorateurs reviennent en France enrichis par cette expérience et publient un rapport d'études très fourni et en accès libre.

Le 21 janvier, au siège de l'Assemblée permanente des Chambres d'agricultures (APCA) à Paris, Julien Hérault, Guillaume Milard et Vincent Gallard, lauréats en 2018, étaient venus raconter leur expérience et présenter les sujets sur lesquels ils ont travaillé pendant deux ans.

Agriculteur dans les Deux-Sèvres et conseiller indépendant en machinisme, Julien Hérault s'est posé cette question : comment optimiser son investissement en matériel agricole ? « En France, on est toujours montré comme un mauvais élève concernant nos charges de mécanisation, constate-t-il. Je me suis demandé comment faire pour améliorer les stratégies d'investissement sur les exploitations ». Après des recherches qui l'ont mené en Ecosse, aux Etats-Unis, en Allemagne et en Angleterre, il a développé un outil simple permettant de dimensionner la taille des matériels en fonction des « jours agronomiquement disponibles » sur la zone géographique des exploitations.

« Mais attention, rappelle-t-il : l'achat de technologies doit être justifiée par une plus-value technique ou agronomique. La clé de la rentabilité ne sera pas uniquement dans la diminution des charges de mécanisation, elle sera plutôt sur la différentiation de l'offre et de la production ».

Améliorer la plus-value des produits a aussi été au cœur de l'étude de Guillaume Milard, céréalier dans la Nièvre, qui a cherché à comparer la qualité nutritionnelle des grains produits en système labour traditionnel et en agriculture de conservation des sols (ACS). Suite à ses investigations, la piste de teneurs en antioxydants plus élevés dans les plantes cultivées en ACS se dégage. Il a rencontré plusieurs chercheurs qui travaillent sur ce sujet et dont les travaux sont en cours.

« Force est de constater, en témoigne l'échec de labels comme "Terre vivante" au Québec, que les bénéfices agro-environnementaux engendrés par l'agriculture de conservation des sols ne suffisent pas à créer une valeur ajoutée à nos produits, relate-t-il. En revanche, montrer que ce système de production peut améliorer la qualité nutritionnelle des grains serait une meilleure base de communication, voire de certification, pour permettre une meilleure valorisation économique ».

Créer de la valeur et se démarquer grâce à des produits fermiers originaux a aussi été un fil rouge pour Vincent Gallard, conseiller chez Bel et en cours d'installation sur une ferme laitière. Grâce à sa bourse Nuffield, il a étudié la faisabilité économique et technique d'une laiterie mobile. « Pour un éleveur, la vente directe de produits laitiers implique un investissement important dans du matériel parfois peu utilisé, explique-t-il. L'idée d'une laiterie mobile permettrait de déléguer la transformation tout en conservant la commercialisation ».

Son étude, qui l'a mené des Pays-Bas à l'Italie, lui a permis de détailler très précisément le business-plan d'une laiterie mobile rentable. Au volant d'un utilitaire aménagé, « l'artisan fromager ambulant » se déplacerait sur plusieurs fermes et transformerait des produits à valeur ajoutée comme la mozzarella ou la confiture de lait. « Ce type de service pourrait s'adresser à des producteurs voulant étendre leur gamme sur des produits dont ils ne maîtrisent pas la transformation ou dont ils n'ont pas le matériel », indique Vincent Gallard.

Le lien et la transmission sont deux valeurs qui animent l'esprit du réseau Nuffield. « Nuffield est un véritable enjeu pour créer de la valeur dans l'agriculture française », estime Maximin Charpentier, président de la Chambre d'agriculture de la région Grand Est. Si chaque département pouvait présenter un candidat à la bourse Nuffield, cela pourrait véritablement faire bouger les choses ». Sans compter que si les voyages forgent la jeunesse, ils permettent aussi de comparer les agricultures et de se défaire de certaines idées reçues. Comme en témoigne un ancien lauréat de la bourse Nuffield : « Aller voir ce qui se fait ailleurs permet aussi de relativiser : tout ne va pas si mal en France ».