"Souveraineté alimentaire" : une idée, plusieurs visions

Depuis le début de la crise, nombre de tribunes appelant à la "souveraineté alimentaire" sont parues, mais recèlent des propositions différentes.

A l'aune de la crise que nous traversons, la notion de « souveraineté alimentaire » revient en force. Depuis les mots du chef de l'Etat qui, dans son discours du 12 mars, concédait que « déléguer notre alimentation [...] à d'autres, est une folie », de nombreuses tribunes appelant à la souveraineté alimentaire ont vu le jour. Députés, patrons de la grande distribution, responsables syndicaux ou restaurateurs, tous appellent de leurs vœux à une « souveraineté alimentaire ». Mais derrière cette grande idée, chacun y intègre des solutions différentes.

« Les écologistes y voient un virage vers un futur beaucoup plus naturel, les technicistes une priorité absolue redonnée au développement de la production, pour les altermondialistes ce sera un recul de la mondialisation, pour les nationalistes un recentrage hexagonal, pour d'autres au contraire une étape supplémentaire dans l'intégration européenne, pour beaucoup un virage vers davantage de proximité. Chacun y loge en fait une partie des rêves, des croyances ou des convictions, souvent déçus, qu'il porte en lui depuis longtemps », décrypte l'agro-économiste Jean-Marie Séronie dans un article intitulé « Souveraineté alimentaire... de quoi es-tu vraiment le nom ? » publié le 27 avril.

Pour la FNSEA, qui a publié mercredi 6 mai un « Manifeste pour une souveraineté alimentaire européenne », la souveraineté alimentaire, c'est d'abord « conforter l'acte de production en France ». « Il faut pour cela se donner les moyens d'avoir plus de compétitivité et de résilience face aux crises », a indiqué Christiane Lambert lors d'un point presse le même jour. Et de citer les « fragilités structurelles » ayant fait perdre du potentiel de production à plusieurs filières agricoles françaises : complexités administratives, coût du travail, relations commerciales avec la distribution, distorsions de concurrence...

Le syndicat majoritaire ne voit pas dans la notion de souveraineté alimentaire « le repli sur soi » ou « le rejet des échanges », mais le fait de « s'inscrire dans le jeu du commerce international, avec des règles équitables et des contrôles aux frontières et des mécanismes de corrections du marché ».

Dans un communiqué de presse daté du 30 avril, la Confédération paysanne déplore en revanche que « des expressions comme indépendance, autonomie, souveraineté ont été empruntées et sont aujourd'hui utilisées par les politiques, l'agrobusiness, la grande distribution et leur communication ».

« La souveraineté alimentaire n'est pas née avec les récentes prises de parole d'Emmanuel Macron, signale le syndicat. Le concept a été développé par La Via Campesina et porté au débat public à l'occasion du Sommet Mondial de l'Alimentation en 1996. Depuis son origine, il présente une alternative aux politiques néo-libérales appliquées au secteur agricole. La souveraineté alimentaire désigne en effet le droit des populations, de leurs Etats ou Unions à définir leur politique agricole et alimentaire, sans détruire celle des pays tiers ».

Et de poser ces questions : « Comment confier les clés du monde d'après à ces mêmes acteurs alors qu'ils sont à l'origine de notre dépendance et de nos difficultés actuelles ? Comment ne pas dénoncer leurs appels successifs à la compétitivité et leur incapacité à répondre à l'urgence sociale et écologique ? »

Au lieu de souveraineté, l'économiste Jean-Marie Séronie propose plutôt « l'idée de sécurité alimentaire ». « En plus ce concept ne présente pas d'ambiguïté d'arrière-pensée de fermeture, de repli sur soi mais ouvre plutôt sur l'anticipation, l'organisation », écrit-il.

Il propose de synthétiser ce concept autour de quatre politiques à mener simultanément : une politique consumériste visant à aller vers davantage de saisonnalité et à « construire une acceptation à payer davantage »  ; une politique industrielle pour « sécuriser l'approvisionnement des agriculteurs en intrants et matériels » ; une politique agricole visant à développer la production de fruits et légumes, l'autonomie en protéines, et à diminuer la dépendance des exploitations aux intrants ; et enfin une politique générale pour « pour sanctuariser le foncier agricole, stocker de l'eau et baisser le coût du travail ».

Reste à savoir quelles seront les « décisions de rupture » promises par Emmanuel Macron à l'issue de cette crise.