Agrivoltaïsme : face à la rente des champs de silicium, le pari d’une terre nourricière

[Edito] Le gouvernement a posé le cadre de l’agrivoltaïsme en ménageant des garde-fous de nature à préserver la vocation nourricière des terres potentiellement menacée par la rente de l’énergie photovoltaïque. Au risque de favoriser les installations au sol ?

Le 10 mars 2023 était votée la loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables (APER) destinée à rattraper le retard de la France en la matière, en instituant une planification territoriale, en simplifiant les procédures, en mobilisant le foncier déjà artificialisé et en redistribuant la valeur. Dans son article 54, la loi intronise aussi l’agrivoltaïsme, défini comme « une installation de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil et dont les modules sont situés sur une parcelle agricole où ils contribuent durablement à l'installation, au maintien ou au développement d'une production agricole, en apportant au moins l'un des quatre services suivants : l'amélioration du potentiel et de l'impact agronomiques, l'adaptation au changement climatique, la protection contre les aléas, l'amélioration du bien-être animal ».

Faire disjoncter les projets alibi...

C’est tout l’objet du projet de décret relatif au développement de l’agrivoltaïsme et aux conditions d’implantation des installations photovoltaïques sur terrains agricoles, que le gouvernement devrait publier début 2024, après avis du Conseil supérieur de l’énergie et du Conseil d’État. Le décret égraine toute une batterie de pare-feux destinés à garantir la réalité et la primauté du rendement photosynthétique sur le rendement photovoltaïque, à commencer par un indicateur de rendement agronomique, qui ne devra pas baisser de plus de 10% en moyenne pluriannuelle par rapport à une zone témoin ou, à défaut, au référentiel en faisant office. Charge à l’Ademe de lister les technologies éprouvées et les taux maximum de couverture photovoltaïque afférents.

Parmi les autres garde-fous figurent la sacralisation du statut d’agriculteur « actif », tout un écheveau de contrôles assortis d’une gradation de sanctions pouvant aller jusqu’au démantèlement, ou encore le caractère réversible des installations, garanties financières à l’appui. En outre, les projets agrivoltaïques seront soumis à l’avis conforme de la Commission départementale de préservation des espaces agricoles, naturels et forestiers (CDPENAF). Bref, de quoi faire disjoncter les projets alibi, au moins sur le papier.

... au profit des projets au sol ?

Le projet de décret intègre par ailleurs un mécanisme de partage de la valeur à double détente : d’une part entre l’exploitant agricole, le producteur d’électricité et, le cas échéant, le propriétaire du terrain, d’autre part avec la collectivité publique, dans le cas où le porteur de projet a bénéficié de fonds publics. Bref que des vertus. Reste à savoir si cet agrivoltaïsme très légitimement corseté ne va pas rester à l’ombre du photovoltaïsme au sol, régi par le même décret, mais circonscrit aux terrains réputés incultes ou inexploités depuis au moins 10 ans, avec là aussi moult garde-fous mais administrativement moins contraint et énergétiquement plus efficient.

Un rapport récent du CGAAER consacré à la souveraineté alimentaire révélait que, « sous réserve d’enquêtes plus approfondies », 2,7 à 3 millions d’hectares, soit l’équivalent de plus 10% de la SAU, seraient en état d’abandon, c’est à dire ni cultivés, ni artificialisés, ni boisés, et que le gisement grossirait de 20.000 hectares chaque année. Une cible toute désignée pour le photovoltaïsme au sol. De quoi aussi s’interroger sur la réelle capacité de la terre à nourrir... les agriculteurs. Avec ou sans panneaux.