Ce que pourrait être le prochain plan Ecophyto

Constatant l’échec d’une politique très dispendieuse, un rapport d’inspection préconise l’abandon de la persuasion au profit d’une stratégie mêlant labellisation, incitation fiscale et obligations réglementaires. Politiquement toxique. A tel point que le ministère de l’Agriculture a préféré garder le rapport dans ses tiroirs.

« L’hypothèse initiale implicite du plan Ecophyto est celle d’une diffusion spontanée des alternatives aux produits phytopharmaceutiques, soutenue par des actions de persuasion » : tel est le péché originel d’Ecophyto, selon un rapport de mission du CGAAER, du CGEDD et de l’IGF (*). Car pas plus que la Cour des comptes en 2019 ou les statistiques de ventes annuelles, la mission ne constate un quelconque début de résultat tangible par rapport aux objectifs de réduction d’emploi des produits phytos.

C’est d’autant plus dommageable que la « persuasion » coûte cher : 643 millions d’euros pour la seule année 2019 selon des recoupements réalisés par les administrations centrales et territoriales concernées, qui ont additionné les financements de l’Europe, de l’État, des Établissements publics et des Régions. On est bien loin des montants dévolus au seul programme Ecophyto : 41 millions d’euros + 30 millions d’euros pour l’enveloppe régionale pour cette même année 2019.

Une analyse pessimiste

Lancé en 2008, en lien avec la directive européenne 2009/128/CE sur l’utilisation durable des pesticides, Ecophyto visait à réduire de 50% l’usage des produits phytopharmaceutiques (PPP) à l'horizon 2018. Ni Ecophyto 1 et 2 (2015), ni Ecophyto 2+ (2018) n'y sont parvenus, loin s’en faut. Il reste tout de même une seconde chance pour Ecophyto 2+, dont l‘échéance court toujours (-50% à l’horizon 2025).

Mais la mission n’y croit pas. « Le début de la massification envisagée via les groupes 30.000 ou les GIEE tarde à produire ses effets. A l’échéance d’Ecophyto 2+, ces réseaux n’apporteront qu’une faible contribution à la réduction globale de l’usage des PPP [produits phytopharmaceutiques] ». Plus grave : elle note que les quelques milliers d’agriculteurs engagés dans les fermes Dephy, « les plus volontaires », n’ont pas réussi à atteindre l’objectif de réduction des IFT de 50%. Pessimiste, la mission ne cède pas au fatalisme puisqu’elle propose plusieurs leviers additionnels à la persuasion.

Les trois scénarios alternatifs à la persuasion proposés par l’inspection CGAAER / CGEDD / IGF (cliquez sur l'image pour agrandir)
Les trois scénarios alternatifs à la persuasion proposés par l’inspection CGAAER / CGEDD / IGF (cliquez sur l'image pour agrandir)

Renforcer le crédit des labels hors AB

Prenant exemple sur l’agriculture biologique, la mission estime que la labellisation est un réel levier de massification des bonnes pratiques. Elle indique au passage que si 25% de la SAU était convertie en AB, près de la moitié de l’objectif d’une réduction de 50% des PPP serait atteinte... En dehors de l’AB, la mission souligne l’intérêt des labels du type « cultivé sans pesticide » et suggère de renforcer la crédibilité de la certification HVE, en durcissant le volet relatif aux PPP. S’agissant des produits sous AOC, IGP et Label rouge, la mission estime que le « gouvernement et l’INAO devraient demander l’insertion de conditions relatives aux PPP dans l’ensemble des signes d’identification de la qualité et de l’origine ».

Accroitre la fiscalité sur les produits phytos

La mission voit dans le relèvement du taux moyen de la redevance pour pollution diffuse (RPD), de l’ordre de 5% aujourd’hui, un levier potentiellement puissant pour inciter à la recherche d’alternatives. L’effet de la taxation pourrait être renforcé en affectant le produit de la taxe aux agriculteurs ayant réduit leur usage des PPP et en prolongeant la fiscalité sur les PPP d’une fiscalité différentielle jusqu’au consommateur, de manière à réduire les écarts de prix des produits sans PPP par rapport aux produits conventionnels. La mission relève toutefois que le levier fiscal poserait « la question de leur acceptabilité politique et de leur adoption dans un cadre européen pour limiter les distorsions de concurrence au sein du marché intérieur ».

Mobiliser davantage la Pac

Selon l'inspection, le « puissant levier de la Pac », et ses 9 milliards d’euros annuels, n’est pas suffisamment mobilisé. « Un faible nombre de mesures de l’actuelle Pac vise les réductions de PPP telles que le soutien à l’AB et les MAEC. Les financements du premier pilier favorisent l’usage des PPP, à la différence des financements du second pilier ». La mission prône un durcissement de la réglementation, accompagné d’un alignement des politiques publiques, justifié par les dangers et les risques de l’utilisation des PPP pour la santé humaine et la biodiversité.

Problème : il n’est envisageable qu’au prix d’une forte harmonisation européenne et d’une exigence identique à l’égard des importations, reconnaît la mission. On n’est pas loin de l’impasse. Est-ce la raison pour laquelle le ministère de l’Agriculture a préféré garder le rapport dans un tiroir pendant un an, rapport que France nature environnement a rendu public tout récemment ? Il faut dire aussi que l'inspection étrille la gouvernance du plan. Ecophyto ou « Eco tout faux » ?

(*) Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux, Conseil général de l’environnement et du développement durable, Inspection générale des finances