Climat : « On ne peut pas dissocier l’agriculture de l’alimentation »

Le climatologue Jean Jouzel estime que l’atténuation du changement climatique ne pourra pas s’affranchir d’une transition alimentaire, doublée d’une lutte contre le gaspillage. L’agriculture doit aussi s’emparer des énergies renouvelables.

« Au plan mondial, l’agriculture dispose d’un potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre pouvant atteindre 10 milliards de tonnes de C02 par an, soit environ l’équivalent d’environ 20% des émissions enregistrées en 2019, qui se sont établies à 55 milliards de tonnes ». C’est ce qu’a déclaré Jean Jouzel, climatologue, ancien vice-président du groupe scientifique du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) de 2002 à 2015, en introduction d’une journée Casdar organisée par l’Inrae le 27 janvier et consacrée à la contribution de l’agriculture à l’atténuation du changement climatique.

Les leviers résident pêle-mêle dans la réduction de la fermentation entérique, la réduction des émissions de méthane (CH4) dans la culture du riz, de dioxyde d’azote (N2O) due à la fertilisation, de N2O et de CH4 dues aux effluents d’élevage ou encore de N2O au niveau des process de production des engrais.

Régime et gaspillage alimentaires

Selon le climatologue, l’agriculture représente environ 11% des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale mais le taux monte à 30% si l’on intègre l’alimentation, incluant le stockage, le transport, le conditionnement et la distribution. L’alimentation recèle deux leviers d’atténuation que sont la lutte contre le gaspillage, avec un potentiel de réduction pouvant atteindre 6 milliards de tonnes de C02 par an, et la modification des régimes alimentaires. Sur ce point, la fourchette de réduction d’émissions oscille entre 3 milliards de tonnes pour le régime méditerranéen, privilégiant les légumes, et 7 milliards de tonnes pour le régime végan, le régime flexitarien (réduction de la viande) se situant à 5 milliards de tonnes.

L’opportunité des énergies renouvelables

Si l’agriculture et l’alimentation, avec la gestion des forêts (jusqu’à 13 milliards de tonnes) concentrent une grande partie de la solution au changement climatique, l’agriculture constitue par ailleurs un support de prédilection pour les énergies renouvelables.  « C’est une autre opportunité d’atténuation du changement climatique, indique Jean Jouzel. Qu’il s’agisse de l’éolien, du solaire, de la biomasse et de la méthanisation, les territoires sont au cœur des énergies renouvelables. En France, les terres sont encore largement sous le contrôle des agriculteurs, et c’est très bien, et il y a encore beaucoup à faire dans le monde agricole pour participer au développement des énergies renouvelables ».

En dépit de ces potentiels d’atténuation, le climatologue estime que l’agriculture va devoir faire preuve d’adaptation, rappelant que « l’année 2020 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée en France depuis 150 ans ». Pour contenir la hausse des températures à +1,5°C à l’horizon 2050, il faudrait que l’ensemble des pays de la planète vise la neutralité carbone à horizon 2050. « Il ne faudrait pas en tout cas s’éloigner des +2°C sans quoi il sera très difficile pour l’agriculture de s’adapter, poursuit Jean Jouzel. La meilleure façon d’aborder les prochaines décennies, c’est d’accepter la réalité du changement climatique et de l’intégrer à son modèle de développement. Il faut accorder une très grande confiance aux scientifiques qui ont dit il y a trente ans ce qui se passe aujourd’hui ».

Christian Huygue, directeur scientifique de l'Inrae et Jean Jouzel, climatologue
Christian Huygue, directeur scientifique de l'Inrae et Jean Jouzel, climatologue