Colza : un insecticide pour sauver... les abeilles

La filière oléagineuse appelle la France à soutenir la ré-homologation de phosmet, sous peine de voir s’affaisser une tête d’assolement déjà en souffrance. La production de protéines en pâtirait mais également celle de... miel.

Sauver les abeilles en maintenant un insecticide au catalogue : c’est en substance le message des producteurs (Fop) et de l’interprofession (Terres Univia) qui pressent la France de soutenir la ré-homologation du phosmet, dont l’autorisation prendra fin en juin 2021. Paradoxal au prime abord, le raisonnement est le suivant : si l’insecticide disparait du catalogue, entre 20% et 25% de la sole de colza, soit environ 300.000 ha pourraient disparaître du paysage agricole, du fait de l’impossibilité de maîtriser les ravageurs d’automne avec, comme victimes collatérales, les abeilles. « Si les niveaux des récoltes de miel en 2020 ont pu doubler par rapport à 2019, après des années catastrophiques, c’est grâce au colza qui a bénéficié de conditions favorables dans le nord de la France », indique Terres Univia dans un communiqué. « Des observations menées dans certaines exploitations apicoles montrent que le miel de colza et le miel de printemps représentent en moyenne 32% de leur production de miel ».

Moins d’insecticides, plus de résistances

La maîtrise des altises et des charançons est en délicatesse avec le développement de résistances aux pyréthrinoïdes. A l’automne dernier, le retrait du chlorpyriphos-méthyl a par ailleurs réduit l’éventail de solutions insecticides. Si le phosmet, un organophosphoré, disparaît du catalogue, les producteurs en seront réduits à se reposer sur les stratégies de contournement consistant à offrir au colza des conditions de levée précoce et une croissance dynamique et continue à l’automne pour échapper aux morsures des altises. Cette stratégie était déjà la règle pour limiter autant que possible le recours aux insecticides, et notamment au phosmet, limité à deux applications annuelles. Problème : la technique est moins dépendante du bon vouloir des producteurs que des conditions climatiques à l’automne. Il se trouve que ces trois dernières années, la sécheresse automnale n’a pas seulement handicapé la croissance du colza : elle a dissuadé les agriculteurs d’en semer. Après avoir tutoyé les 1,5 M ha pendant une décennie, le colza s’est calé depuis trois ans autour de 1,1 M ha, le ministère faisant étant d’une prévision d’emblavement de 1,12 M ha cet automne.

Ecraser un peu plus le colza ferait tache

Selon la Fop, la retrait du phosmet pourrait entrainer un nouveau décrochement de l’espèce, qu’elle évalue à 300.000 ha, soit 1 M t de graines, avec la réaction en chaine suivante : fragilisation des exploitations des zones intermédiaires, diminution de la ressource alimentaire des abeilles et autres pollinisateurs, mise en péril de l’équivalent d’une usine de trituration, hausse de notre dépendance énergétique du fait d’une moindre production de biodiesel, équivalant à 230.000 t de gazole fossile, et bien entendu aggravation de notre dépendance en protéines. Selon la Fop, « 300.000 ha de colza en moins, ce sont 500.000 t de tourteaux français, non OGM en moins, 4 points de dépendance supplémentaire et une hausse des importations en provenance de pays où OGM et déforestations sont assumés ». A l’heure de la stratégie nationale en faveur des protéines végétales, écraser un peu plus le colza ferait tache.