Retrait de molécules : anticiper davantage et intégrer l’impact économique

En se fondant sur l’expérience du retrait du phosmet en colza, le CGAAER estime que la baisse inéluctable du nombre de substances actives doit être mieux anticipée par les pouvoirs publics lorsqu’elle est génératrice d’impasses techniques, doublées d’un préjudice économique.

14 mois : c’est le laps de temps qui a séparé la mise en œuvre d’un programme d’action de la sortie du phosmet du retrait effectif de l’insecticide du marché, intervenu le 1er août 2022, à la veille des semis de colza. Pour le Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux (CGAAER), c’est un peu court, pour une molécule qualifiée de « pivot ». « Il est nécessaire d’anticiper les décisions de retrait de substances actives présentant une grande valeur pour la souveraineté́ de la France, afin de lancer des actions de recherche et de déploiement d’alternatives », souligne sa mission dévolue au Plan de sortie du phosmet.

La mécanique menant à l’impasse

A la décharge des pouvoirs publics, il faut souligner la célérité des évènements menant à l’impasse technique pour lutter contre les ravageurs du colza, avec, début 2020, la non-réapprobation du chlorpyriphos-méthyl, puis fin 2020, la décision des autorités françaises ne pas autoriser le flupyradifurone au motif que son mode d’action est similaire à celui des pyréthrinoïdes, et enfin le retrait du phosmet, décrété au niveau européen en janvier 2022, retiré des étagères des distributeurs le 1er août de la même année puis de celles du local phyto des agriculteurs le 1er novembre. A une réserve près : « Le risque d’impasse technique était connu de longue date puisque l’approbation du phosmet au niveau communautaire avait une date d’expiration initialement fixée au 31 juillet 2017 », relève la mission du CGAAER.

Evolution du nombre de produits phytopharmaceutiques, hors permis de commerce parallèle, autorisés en France entre 2008 et 2020 (Source : Anses)
Evolution du nombre de produits phytopharmaceutiques, hors permis de commerce parallèle, autorisés en France entre 2008 et 2020 (Source : Anses)

Une solution agroécologique partiellement empêchée

De fait, les alternatives au phosmet sont presque exclusivement fondées sur la recherche d’alternatives non-chimiques, avec en tête la technique du colza robuste, consistant à maximiser le développement végétatif en tout début de cycle pour prendre de vitesse les larves de coléoptères. Se pose alors la question de la disponibilité en azote à l’automne, particulièrement dans les sols superficiels des zones intermédiaires, susceptibles de requérir un apport d’azote minéral à l’automne. Problème : « Une contradiction apparaît alors entre le déploiement d’une alternative non-chimique au phosmet, et la protection de l’eau telle qu’elle est prévue par la directive nitrates ».

Evolution du nombre de substances actives contenues dans au moins un produit phytopharmaceutique bénéficiant d’une AMM en France entre 2008 et 2019 (Source : Anses)
Evolution du nombre de substances actives contenues dans au moins un produit phytopharmaceutique bénéficiant d’une AMM en France entre 2008 et 2019 (Source : Anses)

Un catalogue phyto peau de chagrin

Si entre-temps la sole de colza a retrouvé des couleurs, alors que les coléoptères étaient - et demeurent - lourds de menaces pour les assolements et pour la filière oléoprotéagineuse, l’exemple du phosmet constitue un avertissement. D’autant que le catalogue de produits phytos va poursuivre allègrement son régime d’amaigrissement, sous le double effet de la rareté des nouvelles homologations et du retrait de molécules dans le cadre des procédures de réapprobation quinquennales, pour des motifs sanitaires (classement CMR) et/ou environnementaux (persistance, bioaccumulation, toxicité).

Entre 2008 et 2019, le nombre de substances actives bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) est passé de 425 à 323. « Une logique « un problème, une solution » s’est installée, et il est réellement malaisé d’en sortir, note le CGAAER. Les solutions chimiques sont très efficaces, très régulières dans leurs résultats, simples d’emploi et relativement peu coûteuses. Les méthodes alternatives sont souvent d’une efficacité moyenne, variable selon des facteurs peu connus, complexes à insérer dans les itinéraires techniques et nettement plus chères que les produits de synthèse ». Au plan économique justement, le CGAAER recommande d’intégrer, dans tout plan d’action de sortie d’un pesticide « pivot », la « recherche de dispositifs permettant d’améliorer la rémunération des exploitants s’engageant vers l’emploi d’alternatives non chimiques, ou de valoriser l’image d’une filière ».