Concilier bien-être animal et bien-être humain dans un centre d’allotement

Préoccupation sociétale grandissante, le bien-être animal est de plus en plus pris en compte dans les différents maillons de l’élevage, notamment les centres d’allotement et les abattoirs. Ces établissements sont aussi des lieux de travail et l’amélioration de la santé et de la sécurité de ces salariés est tout autant légitime. Le projet Bouv’innov, mené par l’Idele, s’intéresse à la conciliation de ces différents enjeux.

Dans la lignée de One Health, « une seule santé » pour les Hommes, les animaux et l’environnement, le concept de One Welfare, « un seul bien-être », se popularise dans le monde de l’élevage. Pour les éleveurs, c’est un lieu commun : en général, un éleveur se sent « bien » si ses animaux sont « bien ». Encore faut-il, bien sûr, savoir évaluer les facteurs objectifs de bien-être ou de mal-être des animaux, mais les éleveurs progressent chaque jour sur ces notions.

Le concept de One Welfare devient plus complexe lorsque l’on quitte la ferme et les relations étroites entre un éleveur et son troupeau, et que l’on s’intéresse à d’autres structures qui accueillent des bêtes : les centres de rassemblements et les abattoirs. Dans ces lieux, on trouve une plus grande diversité d’acteurs, humains comme animaux, et des enjeux très variés : santé et sécurité des personnes, bientraitance animale, efficience économique, écologie, qualité de la viande, fiabilité du système, attractivité des métiers…

Partenariat avec les acteurs de la santé au travail

Sensibiliser les acteurs à la prise en compte de tous ces enjeux est l’objectif de la démarche Bouv’innov, qui a démarré en 2017. Pilotée par l’Idele, en partenariat avec plusieurs autres acteurs (Cnam, Carsat, MSA, Anact, INRS…), Bouv’innov souhaite donner des clés pour mener des projets de conception ou de rénovation de ces équipements, qui respectent au mieux ce « One Welfare ».

Le tri par le poids des animaux est désormais automatisé dès la sortie de la pesée. Avant, les opérations requerraient des entrées et sorties des animaux par les opérateurs. En photo, Thomas Retière, responsable activité maigre et veaux à Ter’élevage. (Crédit photo : Catherine Perrot)
Le tri par le poids des animaux est désormais automatisé dès la sortie de la pesée. Avant, les opérations requerraient des entrées et sorties des animaux par les opérateurs. En photo, Thomas Retière, responsable activité maigre et veaux à Ter’élevage (Crédit photo : Catherine Perrot)

Pour cela, rien de mieux que la « pratique » et l’accompagnement, sur le terrain et sur la durée, de projets réels.  C’est le cas de la rénovation du centre d’allotement de Ter’élevage (la branche élevage bovin de la coopérative Terrena), situé à Mésanger (44). Ce centre d’allotement reçoit chaque année qq 16 000 bovins maigres, qui y séjournent en général 12 à 72 heures, avant de repartir en engraissement, en France ou à l’étranger. Sa rénovation a été suivie dans le cadre de Bouv’innov durant plusieurs années. Pleinement opérationnel à présent, ce centre a accueilli, le 9 juin dernier, les premières rencontres Bouv’innov.

Environ 70 personnes, d’horizons variés, mais tous en lien avec le travail en centres d’allotement et en abattoirs (responsables et salariés de sites, préventeurs, contrôleurs sécurité, responsables bien-être animal, ergonomes…) se sont donc rendues à Mésanger pour visiter le nouveau centre d’allotement et être sensibilisées aux bonnes pratiques dans la conduite de projets.

Travail prescrit vs travail réel

Ces bonnes pratiques ont été abordées par deux ergonomes : Lise Delcourt, chargée de mission à l’Aract (Association régionale pour l’amélioration des conditions destravail) et Cédric Sabeau, directeur associé du cabinet Atout Synergia, ont rappelé l’importance de distinguer le travail réel du travail prescrit. Un obstacle sur le chemin, un outil mal rangé ou mal entretenu, un équipement instable : le travail réel est toujours très différent du travail prescrit. « En général, l’individu cherche à faire du bon travail, il s’adapte et il aura toujours tendance à en masquer les aléas. Parfois, il est même prêt à faire des compromis avec sa sécurité ou son bien-être, à prendre des risques pour réaliser sa tâche », soulignent les deux spécialistes.

Le quai d’expédition des animaux a fait l’objet de nombreux ajustements : création de passages d’Hommes, adaptation de la pente, rainurage, occultation des ouvertures éblouissant les animaux, bac de sciure pour faciliter la montée dans le camion… (Crédit photo : Catherine Perrot)
Le quai d’expédition des animaux a fait l’objet de nombreux ajustements : création de passages d’Hommes, adaptation de la pente, rainurage, occultation des ouvertures éblouissant les animaux, bac de sciure pour faciliter la montée dans le camion… (Crédit photo : Catherine Perrot)

C’est donc bien à partir du travail réel qu’il faudra envisager un projet de rénovation, et pour cela, il faut aussi multiplier les points de vue des travailleurs : par exemple, confronter celui des jeunes arrivants à celui des plus anciens, qui se sont « habitués » à certains aléas ; ou encore celui des individus très pratiques et concrets, à ceux qui sont plus sensibles ou plus intuitifs…

Dans la conduite d’un projet de rénovation ou de construction, les deux ergonomes ont rappelé aussi l’importance de partager les visions du projet par différents intervenants (les opérateurs, les chefs d’équipe, les personnes chargées de la maintenance, du nettoyage, les vétérinaires..), de bien identifier les situations de travail qui seront transformées, de faire régulièrement des simulations avant d’engager la conception, et, après la réalisation, de faire des tests, des ajustements, des retours d’expériences… « Contrairement à ce que l’on croit, on gagne du temps à faire des démarches participatives en amont d’un projet. Et même parfois de l’argent, car, souvent, les salariés sont les premiers à vouloir réaliser des économies de budget ».

Nouveau quai de réception, nouveau système de tri

C’est donc le résultat de ce type de démarche participative, menée dans le cadre de Bouv’innov, au centre d’allotement de Mésanger que les visiteurs de la journée ont pu découvrir ce 9 juin. Le projet de rénovation a abouti à la création de certains équipements et à l’amélioration de beaucoup d’autres.

Parmi les créations :  un quai de réception et un quai de chargement indépendants, à la place de l’ancien quai qui servait aux entrées comme aux sorties d’animaux. Pour les Hommes, c’est moins de manipulations, moins d’attente pour les chauffeurs. Pour les bovins, c’est aussi moins de manipulations, pas de croisements entre ceux qui arrivent et ceux qui repartent, et plus de repos pour ceux qui sont en parcs (moins de bruits et de mouvements autour d’eux). L’entreprise y gagne aussi, car elle améliore ses capacités et sa souplesse de stockage.

Parmi les améliorations : l’automatisation de la répartition en lots de poids similaires directement à partir de la cage de pesée. Un système de portes automatiques conduit les bovins dans une case en fonction de leur classe de poids. Auparavant, cette opération était réalisée manuellement et impliquait de nombreuses interventions et entrées et sorties d’animaux dans les parcs.

La rénovation a concerné d’autres points comme la création de couloirs de circulation pour les Hommes tout le long des couloirs réservés aux animaux, le respect de la « marche en avant systématique », l’attention à la ventilation sans courants d’air, à la luminosité sans éblouissement, l’adaptation des barrières avec des parois pleines pour éviter d’y coincer des pattes, la commande à distance d’une porte de poussée dans un angle difficile à négocier, l’installation d’une barre anti-chevauchement…

Malgré toutes les concertations, et même s’il répond déjà très bien aux objectifs, l’outil reste encore « améliorable ». Par exemple, au niveau de la largeur du couloir de tonte/pesée : sa dimension au niveau des parois est supérieure à ce qui était prévu au niveau des montants et certains jeunes bovins peuvent encore s’y retourner. Ou encore au niveau du bruit, généré par le compresseur et par les mouvements de la cage de pesée. Le travail d’amélioration des bien-être est rarement définitif.