Conseil stratégique phyto : « 696 € pour s’entendre dire de décaler les semis de blé de 3 semaines »

A Villouxel (Vosges), Jean-Luc Arnould a réalisé son Conseil stratégique phytosanitaire (CSP) pour continuer d’avoir le droit « d’arroser » ses 40 hectares de terres arables. Pas sûr qu’il récupère la mise de 696 euros en blé sonnant et trébuchant. Et rebelote dans deux à trois ans. S’il n’a pas lâché l’affaire.

Deux petites heures d’entretien, un rapide tour de plaine, un rapport d’une trentaine de pages, fort d’un diagnostic d’exploitation, d’un plan d’action, de tableaux de variétés, de tableaux d’IFT, d'un Certificat d’économie de produits phytosanitaires (CEPP) pour éviter un insecticide sur méligèthes du colza ou encore d'une fiche du Contrat de solution dédiée à la tolérance variétale des orges d’hiver. Et une facture de 696 euros TTC. « Tout ça pour s’entendre dire de décaler les semis de blé de quinze jours à trois semaines pour gérer les vulpins. Mais je suis dans les clous ». Exploitant 102 hectares de SAU dont 62 hectares d’herbe, Jean-Luc Arnould vient de réaliser son Conseil stratégique phytosanitaire (CSP) auprès de la Chambre d’agriculture des Vosges .

Le CSP compte une trentaine de pages égrenant diagnostic, plan d’action et différents documents aidant à la décision
Le CSP compte une trentaine de pages égrenant diagnostic, plan d’action et différents documents aidant à la décision

A compter du 1er janvier 2024, toute exploitation (hors AB, HVE et les très petites structures exemptées) devra justifier la réalisation d’un CSP sous peine d’un rappel à la réglementation. En outre, les agriculteurs dont le Certiphyto arrivera à échéance en 2024, et au-delà, seront dans l’impossibilité de le renouveler sans la justification d’un CSP en bonne et due forme. Pas de Certiphyto, pas d’achat de phytos, pas de traitements. Jean-Luc Arnould a décidé de prendre les devants face au risque d’encombrement dans les Chambres, centres de gestion et autres organismes indépendants de toute activité de distribution ou d’application en prestation de produits phyto, habilités à réaliser les CSP.

"Sur l’orge, le technicien de la Chambre m’a dit que les vulpins étaient trop costauds pour que le second herbicide prévu au printemps fasse effet"

Le CSP découle de la loi Egalim d’octobre 2018, instaurant la séparation du conseil et de la vente de produits phytos, entrée en vigueur en 2021. Ainsi, le gouvernement pensait indirectement s’attaquer à la machine à cash de beaucoup de coops et négoces pour tenter d’infléchir des « plan-plan » Ecophyto que les chiffres de vente font mentir depuis 15 ans. Finalement, c’est l’Etat qui paie cher sa débauche d’actions, comme l’a révélé l’an passé un rapport d’inspection, resté dans les tiroirs pendant deux ans. Et donc les agriculteurs avec le CSP... en attendant la prochaine mouture d’Ecophyto annoncée par la Première ministre au Salon de l’agriculture.

Jean-Luc Arnould : « Est-ce que je vais récupérer les 696 euros en économies de produit ou en gain de rendement » ?
Jean-Luc Arnould : « Est-ce que je vais récupérer les 696 euros en économies de produit ou en gain de rendement » ?

Un conseiller de Chambre, c’était la première fois que l’agriculteur en voyait un d’aussi près. Une prestation qu’il a jugée « positive », appréciant son caractère « personnalisé ». « Sur l’orge par exemple, le conseiller de la Chambre m’a dit que les vulpins étaient trop costauds pour que le second herbicide prévu au printemps fasse effet, celui d’arrière-saison n’ayant pas fonctionné ».

"Un agriculteur ne va peut-être pas voir ce que le technicien de la coop va voir, car des fois, c’est compliqué la culture"

Le technicien de la coop, la Coopérative agricole lorraine (CAL) en l’occurrence, passe deux fois l’an pour les commandes de morte-saison. « Les techniciens vendent leurs produits, c’est tout à fait normal, mais ils sont aussi là pour conseiller les agriculteurs. Un agriculteur ne va peut-être pas voir ce que le technicien de la coop va voir, car des fois, c’est compliqué la culture », déclare Jean-Luc Arnould, qui a manifestement un peu de mal à se formaliser avec le nouveau cadre réglementaire. A moins que ce soit le cadre réglementaire qui confine à « l’absurdie » et à une autre forme d’impasse phyto. On imagine au passage l’inconfort des « technicos » face aux attentes de certains de leurs adhérents ou clients. Sollicité, le technicien de la CAL n’a pas souhaité s’exprimer.

"Je fais le banquier, je fais des chèques pour les locations, pour les travaux, pour les engrais et maintenant pour le CSP"

Jean-Luc Arnould s’en remet donc au bulletin de santé du végétal (BSV) publié chaque semaine dans le Paysan Vosgien ou encore à son beau-frère, qui réalise l’intégralité des travaux. Le diagnostic du CSP fait donc état d’une difficulté à maîtriser les vulpins, préconisant un décalage de semis ainsi qu’un recours épisodique au labour. « Je fais le banquier, je fais des chèques pour les locations, pour les travaux, pour les engrais et maintenant pour le CSP. Le problème des vulpins avait été identifié par le technicien de la coop mais je ne maîtrise pas le calendrier des travaux ».

Un extrait du CSP relatif aux projets, atouts et contraintes de l’exploitation
Un extrait du CSP relatif aux projets, atouts et contraintes de l’exploitation

Avec son CSP en main, l’agriculteur dispose d’un élément supplémentaire de persuasion, lui qui s’est délesté de son matériel à la suite d’une association avec un autre agriculteur remontant à 2011, mais qui a rapidement avorté. Le troupeau laitier d’une cinquantaine de bêtes en a aussi fait les frais. « Ca me manque de tirer les vaches », regrette l’ex-éleveur, qui vend une partie de sa production fourragère sur pied, l’autre en bottes sur le Bon coin. « Sur les prairies, c’est zéro phyto », précise l’agriculteur, qui ne nie pas les impacts potentiels des produits sur l’environnement. « C’est pas nous qui les fabriquons et vu leur prix, on en met plutôt moins que trop mais on peut toujours faire mieux ».

"Est-ce que je vais récupérer les 696 euros en économies de produit ou en gain de rendement ?"

Justement, deux ans après la date anniversaire de son premier CSP, Jean-Luc Arnould disposera d’un an pour réaliser le second prévu par la loi, faisant office de bilan et commandant d’éventuels ajustements. Mais à 56 ans, sans animaux, sans matériel, sans enfants, sans repreneur, Jean-Luc Arnould n’est pas du tout certain de ne pas lâcher l’affaire. « Est-ce que je vais récupérer les 696 euros en économies de produit ou en gain de rendement ? », questionne l'agriculteur. Le CSP est muet sur ce point. De là à considérer le CSP comme accélérateur de sortie du métier, à défaut de sortie des pesticides...