Gestion des risques : une réforme “nécessaire et pertinente”

Invité de l’AG de la FDSEA le 4 novembre, Joël Limouzin (FNSEA) revient sur les motivations de cette réforme qui articule responsabilité individuelle, assurance et solidarité nationale.

Le fonds des calamités agricoles qui devrait encore intervenir cette année pour soulager les pertes liées à la sécheresse vit cependant ces dernières heures, suite à l’adoption de la réforme de la gestion des risques. Pourquoi cette réforme ?
Joël Limouzin, président de la commission Gestion des risques naturels, climatiques et sanitaires à la FNSEA  :
“Ça fait une dizaine d’années qu’on réfléchit à trouver des améliorations parce qu’on sent bien que la diversité d’approches d’accompagnement entre le fonds des calamités et le système assurantiel, avec des productions qui étaient encore au fonds des calamités et d’autres qui ne l’étaient pas, amenait des distorsions. Le fonds des calamités  a vraiment eu toute sa raison d’être pendant 60 ans et il ne faut surtout pas remettre ça en cause parce que ça a été les prémices d’un principe fondamental de solidarité nationale et de solidarité professionnelle avec cette contribution des agriculteurs via le paiement d’une taxe additionnelle sur les cotisations d’assurance permettant d’activer des fonds publics.
Un fonds des calamités à bout de souffle
Cela a plutôt bien fonctionné dans les cas de sécheresse notamment en élevage et d’avoir des moyens financiers, mais au fil des ans, la réforme de la Pac évoluant, le système d’assurance se faisant jour, on a bien vu qu’il y avait besoin d’apporter un système assurantiel pour l’ensemble des productions, que ce soit la viticulture, l’arboriculture, toutes les cultures qui se sont fortement diversifiées. Et puis, ces dernières années, le changement climatique a amené des sinistres quasiment tous les ans, mettant en exergue le fait que le fonds des calamités était à bout de souffle. On arrivait au point  où les assureurs étaient en passe de se retirer complètement du système multirisques climatiques du fait d’un rapport sinistres sur cotisations de 120-130 %, ce qui n’était plus tenable.
L’épisode de gel 2021 a définitivement montré que ce n’était plus possible, qu’il fallait que l’État vienne à la rescousse. C’est là que Julien Denormandie, sur pression professionnelle, a clairement pris les choses en main et qu’est né le Varenne de l’eau et de l’adaptation du changement climatique. La priorité a alors été de mettre en place en urgence une réforme adossée à une loi permettant d’intégrer la notion de solidarité nationale.
Le calendrier a été très serré pour monter le dispositif et faire voter la loi en mars 2022 pour une application au 1er janvier 2023.”
Qu’est-ce que la réforme va apporter de plus ou de mieux aux exploitants sinistrés ?
J. L. 
: “L’architecture que nous avions fixée à la FNSEA, c’était d’avoir un système qui soit accessible à toutes les productions avec le même schéma pour tout le monde, à savoir un système à trois étages : la responsabilité de l’agriculture, l’assurance privée et la solidarité nationale.
Un mécanisme à trois étages
Cette architecture a permis de montrer que l’agriculture ne pouvait assumer seule tous ces aléas climatiques. Aujourd’hui, on a un dispositif qui me paraît pertinent, grâce à un certain nombre de critères qu’il fallait ajuster, notamment le seuil de déclenchement de la solidarité nationale ; mais le point fondamental, c’était d’avoir l’application du “règlement Omnibus”, c’est-à-dire d’avoir une franchise et un déclenchement de l’assurance à 20 % et une subvention à 70 % contre respectivement 30 % et 65 %. C’était un point très attendu des agriculteurs : à 30 % de franchise, ça faisait beaucoup à assumer pour l’agriculture et bien souvent, le système assurantiel ne se déclenchait pas. C’est un élément important pour le reste à charge des agriculteurs, même s’il reste encore des inconnues techniques ne permettant pas de donner des chiffres précis par les assureurs sur ce reste à charge. Ça a été une bataille sans merci, avec une administration qui ne voulait pas sortir du champs des
600 millions d’euros annoncés par le Président de la République. C’est vraiment par la pression politique que nous avons pu obtenir gain de cause sur la totalité de nos revendications : le règlement Omnibus, l’application de la solidarité nationale qui se déclenche pour la viticulture et les grands cultures à 50 % et à 30 % pour les prairies et l’arboriculture.”

Pourquoi ce seuil différencié de 30 % pour les prairies et l’arboriculture ?
J. L. : “Nous assumons ce choix : dans ces deux secteurs, le taux de pénétration de l’assurance était très faible et il fallait véritablement faire cette transition pour que les gens s’y engagent avec des coûts suffisamment modestes pour être incitatif. Et puis la particularité des prairies, c’est qu’on est avec un système de calcul de la perte différent des autres productions : jusqu’à présent, on était sur une estimation  via des bilans fourragers et des expertises terrain. Désormais, le dispositif reprend celui déjà effectif en assurance prairie : l’indice de pousse de l’herbe, qui amène encore beaucoup de débats mais qui est quand même selon moi le système conduisant à une approche la plus précise possible de la pousse de l’herbe du printemps à l’automne. Les discussions sont encore en cours pour permettre à l’agriculteur, en cas de contestations sur ce système indiciel, de  faire un recours.
Prendre en compte les particularités montagne
Il y a aussi des réflexions qui continuent pour imaginer, pourquoi pas, un système de coefficient qui permettrait d’ajuster au plus proche ces pertes à partir de simulations de terrain de la pousse d’herbe à la parcelle et de prendre en compte les particularités des zones de montagne, des périodes de printemps où la température pourrait être très faible ou en cas d’excès de pluie ne permettant pas de récolter l’herbe.
L’autre gros problème sur toutes les productions, c’est la moyenne olympique. On demande à ce que le gouvernement réfléchisse à des adaptations permettant de gommer les imperfections de cette moyenne olympique qui avait son sens en cas de sinistre tous les 6-7 ans. Mais quand on a des sinistres quatre années sur cinq comme dans le Massif central, on se retrouve avec une référence nettement abaissée  qui fait que l’assurance, voire même le fonds des calamités, ne se déclenche pas. C’est une négociation nationale mais aussi dans le cadre européen.
Je reconnais que 2023 sera encore en mode un peu dégradé. On ne peut pas dire que tout sera parfait dans le système assurantiel mais notre responsabilité est d’amener le maximum d’agriculteurs à aller dans ce dispositif et bénéficier d’un taux d’indemnisation à quasiment 100 % pour les gens assurés pour ce qui est de la solidarité nationale et moitié moins pour ceux qui ne le seront pas.”