Guerre, Pac et Pacte vert : la Commission européenne change son fusil d’épaule

L’exécutif européen autorise temporairement la remise en culture des jachères. Sans remettre en cause les transitions « nécessaires » des stratégies De la ferme à la fourchette et Biodiversité, la Commission « veillera à ce que la productivité́ globale de l'agriculture de l'Union ne soit pas compromise ».

Un mois presque jour pour jour après le début de l’attaque de l’Ukraine par la Russie, la Commission européenne a adopté le 23 mars tout un train de mesures destinées à amortir ses impacts sur la flambée des prix des matières premières, provoquant un double choc alimentaire et énergétique au retentissement planétaire. « La disponibilité des denrées alimentaires n'est actuellement pas en danger dans l'Union, étant donné que le continent est largement autosuffisant en ce qui concerne de nombreux produits agricoles, précise la Commission dans un communiqué. Notre secteur agricole est toutefois un importateur net de produits spécifiques, par exemple de protéines fourragères. Cette vulnérabilité, conjuguée aux coûts élevés des intrants tels que les engrais et l'énergie fossile, créé des difficultés de production pour les agriculteurs et risque de faire grimper les prix des denrées alimentaires ».

Zéro jachère, 100% du paiement vert

La Commission a décidé d’autoriser à titre temporaire la remise en culture des terres en jachère, définies dans le règlement Pac comme exemptes de récoltes et de traitements phytosanitaires. Celles-ci sont comptabilisées dans les Surfaces d’intérêt écologique (SIE), aux côtés des taillis à courte rotation, des cultures portant des plantes fixant l’azote, des surfaces portant des cultures dérobées ou à couverture végétale ou encore des éléments topographiques (arbres, bosquets, haies, mares, bandes tampons, bordures de champ). Le règlement actuel fixe à 5% le taux de SIE dans la SAU pour percevoir le paiement vert (environ 80 €/ha en 2021). « La remise en culture des jachères n’aura pas d’incidence sur le niveau de paiement vert », a précisé la Commission.

500 millions d’euros et des aides ciblant l’aliment et le porc

La Commission a par ailleurs décidé d’allouer une aide de 500 millions d’euros, prélevée sur la réserve de crise, et destinée à soutenir les agriculteurs les plus impactés par l'augmentation des coûts des intrants et/ou les restrictions commerciales. Les Etats membres sont autorisés à compléter l’enveloppe qui leur sera allouée par des fonds nationaux, à hauteur de 200%. Dans le secteur du porc, particulièrement impacté, la Commission a acté la mise en œuvre de mesures de marché de type « filet de sécurité ». Elle a également annoncé un assouplissement, à titre temporaire, des exigences en matière d’importation d’aliments pour animaux afin d’alléger les pressions du marché.

En ce qui concerne le paiement des aides Pac, la Commission autorise les Etats membres à augmenter les avances sur les paiements directs et des mesures de développement rural liées aux surfaces et aux animaux versés à compter du 16 octobre prochain.

Un Pacte vert... mais tout autant productif

Enfin, la Commission européenne a esquissé, pour la première fois depuis sa présentation en décembre 2019, une réorientation du Pacte vert (Green deal), destiné à lutter contre le changement climatique et la dégradation de l’environnement. « La Commission veillera à ce que la productivité globale de l'agriculture de l'Union ne soit pas compromise dans la mise en œuvre des transitions nécessaires définies dans la stratégie « De la ferme à la table » et dans la stratégie en faveur de la biodiversité », annonce-t-elle dans son communiqué.

Pour rappel, ces deux stratégies visent, d’ici à 2030, à requalifier 10% des terres agricoles en haute diversité biologique (mares, bandes tampon, haies...), à enrayer le déclin des pollinisateurs et à réduire de 50 % l’utilisation et la nocivité des pesticides, à baisser de 20% l’usage des engrais chimiques et de 50% l’usage des antibiotiques dans l’élevage et l’aquaculture et à porter à 20% le taux de SAU en bio. La Commission a prévu d’inscrire ces objectifs en textes contraignants à compter de 2023.

Depuis la présentation du Pacte vert, les organisations agricoles ont toujours dénoncé le manque d’études d’impact. Jusqu’au mois d’août 2021 où le Joint Research Center (JRC), un organisme dépendant de la Commission, a évoqué une perte potentielle de production de denrées agricoles comprise entre 5 et 15%, assortie d’une baisse des revenus et d’une délocalisation de nos émissions de gaz à effet de serre. Pour concilier sécurité et durabilité alimentaire, « il sera nécessaire de recourir davantage à l'innovation afin de contribuer à accroître les rendements de façon durable, notamment à l'agriculture de précision, aux nouvelles techniques génomiques, à une meilleure gestion des nutriments, à la lutte intégrée contre les ennemis des cultures ou encore aux solutions biologiques pour remplacer les pesticides chimiques » juge la Commission.

S’agissant de notre dépendance aux engrais et à l'énergie, la Commission mise sur le programme Horizon Europe, chargé d’explorer « une utilisation plus efficace de l'azote, la transition vers l'ammoniac vert pour les engrais et la valorisation de la biomasse ».