Importer l’eau par camion ou stocker celle qui tombe à nos pieds ?

[Edito] En dépit de sa balance commerciale excédentaire, la France importe davantage d’eau "virtuelle" qu’elle en exporte. C’est simple : on importe autant d’eau que l’on en consomme pour l’irrigation. L’eau est la passagère clandestine des fruits et légumes importés, dont les bienfaits nutritionnels et sanitaires ne manqueront pas d’être rappelés en cette année internationale que la FAO leur consacre. Faudra-t-il passer aux fruits et légumes... secs ?

« C’est de la flotte ! ». Qui n’a jamais porté un tel jugement sur une tomate peu savoureuse ? Derrière ce jugement gustatif et un brin subjectif se cache une réalité à la fois physique et comptable. La France importe, via ses denrées alimentaires, environ 4,6 milliards de m3 d’eau par an tandis qu’elle en exporte 1,4 milliards de m3, soit un solde négatif de 3,2 milliards de m3. C’est l’un des (innombrables) enseignements de la mission « climat, eau et agriculture à l’horizon 2050 » des conseils généraux de l'agriculture (CGAAER) et de l'environnement (CGEDD), consacrée aux enjeux et aux défis de la transition climatique pour l’agriculture vis-à-vis de la ressource en eau à l’horizon 2050.

Ce solde correspond peu ou prou aux volumes annuels alloués à l’irrigation en France (3,1 milliards de m3 par an). Match nul. Mais gare aux arbitrages entre produire ou faire produire. Qualifiée de « virtuelle », cette eau importée transite principalement dans les fruits et légumes, deux filières où la France est très dépendante des importations. Selon un rapport de la commission des affaires économiques du Sénat, publié en 2019, la France importait 32% de ses légumes en 2016 (contre 19% en 2000) et 71% de ses fruits (contre 56% en 2000).

Bientôt un nouvel océan

A l’occasion de ses vœux à la presse, la présidente de la FNSEA a rappelé que la filière fruits et légumes s’était fixée des objectifs de reconquête à l’horizon 2025. Elle a aussi interpelé les pouvoirs publics au sujet de la création de retenues d’eau, dont le syndicat attend la concrétisation d’une cinquantaine de projets d’ici à la fin de l’année. Autant dire un océan, au rythme des procédures et des recours jusqu’alors enregistrés.

Importer l’eau par camion frigo ou stocker celle qui tombe à nos pieds : les missionnés du CGAAER et du CGEDD n’ont pas fait dans le simplisme. S’ils n’ont pas exclu la création de nouvelles ressources et le recours à une irrigation dite de « résilience », ils ont dressé des digues, et noyé un tant soit peu le poisson en privilégiant, non sans arguments, la refonte des systèmes agricoles (assolements et filières) et la gestion des sols, adressant au passage des dithyrambes à l’agriculture de conservation des sols, ces derniers étant considérés comme les premiers réservoirs de rétention d’eau.

Des légumes secs sur des zones de captage

A l’occasion là encore des vœux à la presse, Sébastien Windsor, le président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), a témoigné du fait que les agriculteurs et leurs conseillers avaient largement pris le chemin de la transition agroécologique. Il a notamment évoqué l’initiative des Chambres d'agriculture de Lorraine, engagées dans un projet de production de lentilles, bientôt de pois chiches, alimentant la restauration collective locale et participant à restaurer des zones de captage dégradées.

En résumé : des légumes secs en sec, riches en protéines et préservant quantitativement et qualitativement la ressource en eau de Meurthe-et-Moselle, et indirectement celle du Canada, premier producteur et exportateur mondial de lentilles. Puisse le Canada toujours nous acheter des vins et spiritueux, sans lesquels notre balance commerciale agroalimentaire serait largement déficitaire (surtout avec l’aide de leurs voisins américains). Notre filière vins et spiritueux est du reste d’une efficience agronomique (2% de la SAU), économique et hydrologique redoutable, nos exportations équivalant à la « fuite » de seulement 1,8 million de m3 de liquide.