Jean-Luc Guérin : « Le risque biologique de l’IAHP dépasse les capacités de contrôle par la biosécurité et la surveillance »

En dépit d’un renforcement du bouclier anti-grippe aviaire à l’automne dernier, l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) frappe de nouveau durement la France, avec plus de 216 foyers identifiés en élevage à ce jour. Professeur en aviculture et pathologie aviaire, Jean-Luc Guérin livre son analyse de la situation et les perspectives, encore très hypothétiques, de la piste vaccinale.

Quelle est votre analyse de la situation épidémique ?

Jean-Luc Guérin : on est dans une phase très difficile sur la zone Sud Aquitaine, qui est lié à un phénomène que l’on a déjà connu, c’est à dire qu’à partir d’un certain nombre de foyers, on a un effet d’accumulation de virus dans l’environnement sur tous les supports qui est tel que le contrôle de l’infection par les moyens de biosécurité ne peut plus opérer.

Jean-Luc Guérin, professeur en aviculture et pathologie aviaire à l’École nationale vétérinaire de Toulouse (Crédit photo : Cifog)
Jean-Luc Guérin, professeur en aviculture et pathologie aviaire à l’École nationale vétérinaire de Toulouse (Crédit photo : Cifog)

Est-ce une déception par rapport au nouveau cadre sanitaire instauré à l’automne dernier ?

Jean-Luc Guérin : c’est évidemment une déception, qui va demander une analyse très rigoureuse, en tenant compte du fait que nous sommes face une épizootie européenne d’une ampleur encore bien supérieure à celle de l’an dernier. Dans le Nord de l’Italie, le contrôle de l’infection a été totalement impossible en dépit des progrès considérables en matière de biosécurité. Nous avons clairement un problème de fragilité, de perméabilité par rapport à l’introduction de virus.

Y a -t-il un questionnement sur  la concentration d’animaux et d’élevages et sur la segmentation des systèmes d’élevage ? 

Jean-Luc Guérin : la concentration d’animaux n’est pas supérieure à celle que l’on a dans plein d’autres zones en Europe et la segmentation existe ailleurs. On a sur le même territoire un enchevêtrement de différentes filières et de différentes modalités de fonctionnement qui font que l’on a sans doute plus de risques d’infections croisées. Pris isolément, aucun système n’est plus critiquable qu’un autre. C’est leur superposition sur un même territoire qui à mon avis est à l’origine de cette fragilité particulière.

De 34 foyers identifiés en élevage le 3 janvier 2022, on est passé 92 le 10 janvier et à 216 le 17 janvier (Source : ministère de l’Agriculture)
De 34 foyers identifiés en élevage le 3 janvier 2022, on est passé 92 le 10 janvier et à 216 le 17 janvier (Source : ministère de l’Agriculture)

Quelles sont solutions à court terme ?

Jean-Luc Guérin : la priorité c’est d’éteindre les foyers de la manière la plus rapide et la plus efficace possible, d’identifier les éventuelles failles grossières que l’on n’aurait pas vues et sur lesquelles on peut progresser. Aujourd’hui, on est dans l’action, dans l’opérationnel et je me garderai d’énoncer des pistes. Il y aura des réflexions sur les aspects système d’élevage, peut-être de densités instantanées sur certaines zones qu’il faudra regarder plus précisément. Il y aura aussi l’analyse du besoin, ou pas, d’avoir recours à des outils complémentaires comme la vaccination.

Où en est-on de la piste vaccinale ?

Jean-Luc Guérin : aujourd’hui, en France, il n’y a pas de vaccins homologués et autorisés contre les virus de la génération du H5N8 clade 2.3.4.4.b. Lais il y a des candidats vaccins qui vont rentrer en phase dans des conditions expérimentales pour voir dans quelle mesure ils pourraient non seulement protéger contre la maladie et protéger aussi contre la multiplication du virus car l’enjeu essentiel, c’est de freiner au maximum la multiplication du virus et donc la capacité des canards à multiplier et à excréter du virus.

Le protocole expérimental est-il calé ?

Jean-Luc Guérin : il est en train de l’être, en lien avec les scientifiques et les professionnels. Les essais, dans le cadre expérimental, auront lieu dans les prochains mois,. Mais je le répète : il s’agit bien d’essais dans un cadre expérimental et pas du tout commercial.

Quel est votre espoir concernant la piste vaccinale ?

Jean-Luc Guérin : mon espoir, c’est que l’on dispose d’un outil qui permette de compléter les armes que l’on a déjà et dont on voit qu’elles ont atteint leurs limites face à ce risque biologique. Face à un risque biologique que je qualifierai de normal, la biosécurité et la surveillance doivent opérer. On voit que l’on a affaire à un risque biologique d’une nature exceptionnelle, qui sur ce territoire là, dans ce contexte-là a dépassé les capacités de contrôle permises par la biosécurité et par la surveillance. Cela ne veut pas dire que ces mesures ne servent à rien. Cela veut dire que la digue que l’on a posée a été dépassée par la hauteur de la crue cette année, ce qui ne signifie pas que la digue était inutile. Mon espoir, c’est d’avoir un outil qui permette le plus vite possible, à un moment donné, sur un territoire donné, sur une espèce donnée, de passer un cap si l’on est de nouveau exposé à des virus très pathogènes comme ceux que l’on rencontre cette année.

Comment lever les freins liés à l’acceptation vaccinale dans les pays tiers ?

Jean-Luc Guérin : c’est tout un travail de pédagogie, d’explication scientifique, mené par les pouvoirs publics en lien avec les professionnels. Il y a d’autres pays qui vaccinent contre l’influenza aviaire avec des résultats variables, au Vietnam, en Chine en Egypte, de façon tout à fait régulière. Mais ce ne sont pas des pays exportateurs. La France dispose d’une grande filière avicole, d’une grande filière palmipède. Elle exporte de la génétique, des poussins, de la viande de volaille, elle est donc davantage exposée aux réactions de certains pays tiers.