« L’accès à l’eau, l’élément déclencheur de mon installation »

Dans le Lot-et-Garonne, Mathieu Martinet a planté 28 hectares de noisetiers irrigués en goutte-à-goutte, grâce à l’eau de la retenue collinaire de Caussade, au centre d’un imbroglio juridique. Le jeune agriculteur aime le risque : il commercialisera ses noisettes sans l’appui de la coopérative de référence.

Les agriculteurs du Lot-et-Garonne sont-ils plus téméraires que la moyenne ? Mathieu Martinet fait partie de la vingtaine d’agriculteurs bénéficiant de la ressource hydrique générée par le creusement en 2019 du lac de Caussade, sur la commune de Saint-Pierre de Caubel, à l’initiative de la Chambre d’agriculture. D’une capacité de 920 000 m3, le lac collecte les eaux de pluie et de ruissellement d’une petite vallée au fond de laquelle coule un ruisseau, le Caussade, qui va profiter pour l’occasion d’un soutien à l’étiage. L’eau du lac va permettre au nuciculteur de réalimenter son propre lac de 38 000 m3, via l’entremise du Tolzac, un petit cours d’eau dans lequel l’eau de Caussade est relâchée selon les besoins des irrigants, tous situés en aval de la retenue collinaire.

"Je croyais en Caussade, Caussade s’est fait et c’est Caussade qui fait que je me suis installé, comme d’autres jeunes sur le secteur"

Une question s’impose : et si les procédures administratives en cours, qui ont tour à tour autorisé puis interdit la création du lac, coupaient définitivement la vanne de réalimentation ? « Je manquerai d’eau et je perdrai en rendement et en qualité », répond Mathieu Martinet, pas vraiment décontenancé. Il faut dire que l’arboriculteur avait décidé de planter des noisetiers dès 2017, déjà sans avoir toutes les garanties quant à la réalisation effective du lac, dont l’autorisation sera délivrée en juin 2018. « Je croyais en Caussade, Caussade s’est fait et c’est Caussade qui fait que je me suis installé, comme d’autres jeunes sur le secteur ».

Sans Unicoque, sans équivoque

Planté en trois temps, le verger a commencé à produire ses premières noisettes en 2020. Elles ne sont pas parties chez Unicoque, débouché pourtant tout trouvé, la coopérative étant située à une quinzaine de kilomètres de là. C’eût été pourtant la facilité. La coopérative œuvre depuis plus de 40 ans au développement de la filière noisettes, non sans succès. Ses 350 adhérents assurent la quasi-intégralité de la production française de noisettes en coque, soit environ 10 000 tonnes, faisant de la coopérative le premier opérateur européen.

Pas assez risqué peut-être ? « Trop prisonnier, rétorque le jeune arboriculteur. La coopérative exige un contrat d’engagement sur vingt ans, avec apport total. En contrepartie, je n’avais aucune garantie sur les prix. Si la noisette est ce qu’elle est aujourd’hui, c’est grâce à la coopérative. Mais avec ce type contrat, Unicoque est allée trop loin. J’ai acheté mon indépendance ».

En renonçant à la coop, Mathieu Martinet a tiré un trait sur les substantielles aides à la plantation mais il s’est aussi affranchi du versement des parts sociales. Il estime par ailleurs avoir fait des économies sur la plantation, en se soustrayant au cahier des charges imposé par la coopérative.

Mathieu Martinet, dans l'une de ses parcelles de noisetiers
Mathieu Martinet, dans l'une de ses parcelles de noisetiers

Le soja, l’autre noisette de Mathieu

Reste à appréhender la commercialisation de sa future production de noisettes. Mathieu Martinet a quelques pistes mais n’a encore rien formalisé. Pour l’heure, il supervise la construction de deux hangars à toiture photovoltaïque, qui abriteront notamment une station de stockage, de conditionnement et d’expédition de noisettes. C’est là aussi qu’il entreposera sa production de soja, l’autre denrée majeure de son exploitation. Une partie de ce soja est conduite en conventionnel et en irrigué, à partir d’une réserve en eau dédiée, tandis que l’autre partie est conduite en bio et en sec, aux côtés d’une production de luzerne elle-même en bio et vendue sur pied à un négociant.

"Produire, stocker dans de bonnes conditions, contrôler la qualité, conditionner à la demande, charger les camions, peser, c’est gratifiant"

Il faut dire qu’après son diplôme d’ingénieur, Mathieu Martinet a travaillé pendant plusieurs années comme technicien au sein d’un organisme stockeur, les Silos du Touch, situés en Haute-Garonne, spécialisés dans le soja. On comprend mieux sa volonté de rester maître de ses produits. « Je suis en train de me structurer, les bâtiments, le pont-bascule, cela ne se fait pas du jour au lendemain, confie-t-il. Je crois à cette indépendance. Produire, stocker dans de bonnes conditions, contrôler la qualité, conditionner à la demande, charger les camions, peser, éditer des tickets, tout cela me plait et va concourir à valoriser mes productions. Cette installation, c’était mon projet de vie. Et mes grands-parents, auxquels j’ai succédé, sont les plus heureux ».

Le pont-bascule, en cours d’installation
Le pont-bascule, en cours d’installation