L’agriculture évolue, l’entraide aussi (2/4) : Agri-Échange, du groupe d’entraide au réseau d’entraide

Créée il y a 5 ans « par un agriculteur, pour les agriculteurs », la plate-forme Agri-Échange élargit le champ de l’entraide agricole grâce à un réseau en ligne, qui démultiplie les possibilités, facilite et clarifie les calculs des valeurs, et, même, contribue à redynamiser les territoires.

Au sein d’un groupe d’entraide traditionnel, les possibilités d’échanges de travaux à titre gratuit sont limitées à ce qui peut être donné et rendu au sein du groupe, de manière à peu près équilibrée. La diminution du nombre d’agriculteurs, l’agrandissement de certaines fermes, et les charges de travail importantes de certains exploitants limitent encore davantage ces possibilités d’échanges. Au point que de nombreux groupes d’entraide locaux ont disparu du paysage ces trente dernières années.

C’est ce qui est arrivé à Jean-Michel Rabiet, agriculteur Haut-Marnais : le cercle d’entraide auquel appartenait la ferme familiale a disparu quelques années après son installation, en 1986. Une déception pour ce céréalier, convaincu, alors, que l’entraide autour du matériel constituait un moyen pertinent d’améliorer l’efficacité économique des exploitations agricoles.

Multiplier les possibilités grâce au numérique

Si l’agriculteur s’est ensuite tourné vers d’autres formes d’entraide, notamment les Cuma, l’idée du groupe d’entraide ne l’a pas vraiment quitté. Et c’est avec la montée rapide de l’utilisation d’Internet dans le milieu agricole que l’idée lui est venue de recréer une nouvelle forme d’entraide : une entraide qui ne se limiterait pas à un groupe fini, mais qui fonctionnerait en réseau, démultipliant ainsi les possibilités d’échanges entre agriculteurs.

« La plate-forme Échange a démarré en 2017 », rapporte Catherine Rabiet, la sœur de Jean-Michel, avec qui elle s’est associée pour développer et diriger l’entreprise, Jean-Michel en étant le président. « Agri-Échange, c’est clairement de l’entraide », assure-t-elle, tant dans l’esprit - Jean-Michel ne cache pas son côté « militant » -, que sur le plan de la réglementation : « On n’échange que ce qui est autorisé dans le cadre légal de l’entraide : du travail, des services, éventuellement des matières premières… ».

Chaque agriculteur inscrit sur la plate-forme dispose d’un compte d’argent « fictif », qui est crédité lorsqu’il réalise de l’entraide (après accord avec son interlocuteur sur le tarif, qui est généralement le barème d’entraide local) et qui est débité lorsqu’il en reçoit. « Il y a une trace exacte de tous les échanges », décrit Catherine Rabiet, « mais il n’y aucune sortie de trésorerie, pas même pour le paiement d’une soulte en fin d’année ». Plus besoin de tenir à jour un carnet d’entraide, ou un tableau Excel : « L’agriculteur est déchargé de tout le suivi administratif ».

Les bons comptes font les bons amis 

Cet allègement n’est pas qu’administratif. Il est aussi moral : « Bien souvent, les agriculteurs limitent d’eux-mêmes leurs demandes d’entraide par crainte de ne pas pouvoir rendre à hauteur de ce qu’ils ont reçu. Avec notre système, il n’y a plus ce souci de « rendre » à qui nous a donné. Si on n’a pas de temps, on pourra rendre l’entraide sous forme de prêt de matériel, de semences, de paille ou de fumier... Les agriculteurs osent davantage demander de l’entraide. Il n’y a plus de freins ». Sans oublier que les rapports sont plus transparents, plus sereins : « ».

Moins de limites pour demander de l’entraide, mais aussi moins de limites géographiques : bien sûr, il est peu probable qu’un échange de matériel puisse se faire au-delà d’une vingtaine de kilomètres, mais des échanges de matières peuvent s’organiser sur de plus grandes distances, et à plus grande échelle.

Catherine Rabiet estime que la plate-forme est plus complémentaire que concurrente du réseau Cuma, dont l’instance régionale Grand-Est a d’ailleurs toujours été informée du projet et de son évolution. « Une Cuma n’a pas tous les matériels disponibles, ou tous les chauffeurs pour les conduire. Les agriculteurs membres de la Cuma peuvent s’abonner chez nous, par exemple, pour tester de nouveaux matériels. Nous trouvons aussi sur notre plate-forme des offres de « petits matériels », comme des lamiers, du matériel d’élagage, qui ne sont généralement pas en Cuma ». La plate-forme peut aussi être très utile pour de jeunes installés, qui peuvent ainsi avoir accès facilement à un nombre important de matériels sans avoir à réaliser de lourds investissements.

Sur la plate-forme, on peut trouver en offre de prêts des matériels qui ne se trouvent que rarement en Cuma : par exemple, des lamiers pour l’entretien des haies (photo : Agri-Échange).

Un abonnement vite rentabilisé

Le modèle économique d’Agri-Échange est celui d’un abonnement annuel, qu’il faut activer si l’on veut réaliser un échange. Mais l’inscription est gratuite, ce qui permet à tous les agriculteurs de repérer les offres et les besoins dans leur voisinage. A ce jour, la plate-forme compte 1700 inscrits et 250 abonnés. « Un abonnement peut se rentabiliser en un seul échange », note Catherine Rabiet.

Côté équipe, en plus de sa directrice, Agri-Échange compte deux salariés, un alternant, deux stagiaires et fait appel à des prestataires réguliers, notamment pour la partie développement informatique. D’ailleurs, après son site Internet, Agri-Échange a sorti son application pour téléphones et va bientôt aussi proposer un outil d’aide à décision : en se basant sur les données d’offre et de demande locales, il pourra aider à déterminer si un investissement pourra être plus ou moins rentabilisé par des échanges.

Mais Agri-Échange est loin de se limiter à des outils informatiques. « Nous sommes très présents sur le terrain ». Ses salariés sont en effet régulièrement sur les salons pour présenter la plate-forme, ils se rendent chez les agriculteurs et l’entreprise compte aussi des agriculteurs ambassadeurs dans plusieurs régions. Des « cultivateurs d’entraide », comme elle les nomme, sont chargés de faire connaître le réseau, de repérer les besoins et les demandes locales, mais aussi d’animer des tablées gourmandes autour de l’entraide.