« La bio est invisible et on n'en parle qu’en temps de crise »

Pour Christian Renault, spécialiste des politiques agricoles et alimentaires au sein d'AND-International, l’AB souffre d’un déficit de communication. A part de marché équivalente, le budget de l’Agence bio et de Lidl varie ainsi dans un rapport de 1 à 1000. L’économiste pointe également l’inflation alimentaire, qui pénalise tous les signes de qualité. Extraits captés lors d’une table ronde à Tech & Bio, le 21 septembre dernier.

Inflation : « se nourrir en France coûte 20% plus cher qu’avant le Covid »

« On avait oublié ce qu’était que l’inflation et une grande partie de la population ne savait pas ce qu’était l’inflation. Se nourrir en France coûte 20% plus cher qu’avant le Covid. On a des dépenses contraintes qui représentent un tiers du budget des ménages, 43% pour les CSP-, c’est à dire les catégories modestes et 50% pour les 18-24 ans, qui ont pas mal d’empathie et d’envie pour les produits bio et tout ce qui touche à l’environnement. On est dans un sentiment croissant d’insécurité économique, avec un Français sur trois qui déclare avoir des difficultés à se procurer une alimentation saine et à faire trois repas par jour. On est vraiment dans une situation de crise d’existence, de vie de tous les jours pour une bonne partie de la population ».

Christian Renault (au micro) : « Plus on entend parler d’une marque, plus elle est connue et plus elle est connue en bien. La bio est invisible, sauf dans les médias, où on ne parle que de la crise de la bio »
Christian Renault (au micro) : « Plus on entend parler d’une marque, plus elle est connue et plus elle est connue en bien. La bio est invisible, sauf dans les médias, où on ne parle que de la crise de la bio »

AB et autres labels : « L’inflation prend contre-pied des décennies de politiques de qualité »

« Depuis deux ans, on assiste à un décrochage du prix vers le haut et des volumes vers le bas. La crise de consommation alimentaire, ce n’est pas que la bio mais toute l’alimentation. Mais les gammes premium comme le label rouge et les appellations d’origine sont les premières victimes de ce resserrement des dépenses, les distributeurs se réorientant vers les premiers prix et les marques de distributeurs car c’est leur survie qui est en jeu. 15% des gens déclarent changer de gamme de produit pour pouvoir continuer à s’alimenter. La bio étant un produit haut de gamme, par son prix, par sa qualité, par le service rendu à l’environnement, elle subit ce recul. La situation actuelle prend le contre-pied absolu des politiques de qualité développées par le ministère de l’Agriculture depuis des décennies, poussant les agriculteurs à faire de la qualité plutôt que de la quantité, pour laquelle d’autres pays sont meilleurs que la France ».

Prix du bio : « Changer de paradigme »

« Il faut changer de paradigme avec le prix du bio, qui a été longtemps été un tabou. Les consommateurs disaient : « le bio c’est cher, on en achète quand même parce que c’est pas mal. Les acteurs disaient : « il faut bien payer le prix nécessaire pour que la filière fonctionne.  Il y a peut-être des gens qui en ont profité pour marger plus, d’autres ont été tout à fait cohérents. Aujourd’hui, on est peut-être au début d’un désamour pour la bio. On entend : « la bio, c’est pour les riches. Moi je ne peux pas me payer de la bio, donc je dis que c’est nul ». Quand on ne peut pas s’offrir quelque chose, ça n’a pas forcément grande valeur à nos yeux ».

Evolution du prix du lait bio demi-écrémé entre le 1er semestre 2022 et le 1er semestre 2023
Evolution du prix du lait bio demi-écrémé entre le 1er semestre 2022 et le 1er semestre 2023

Prix du lait bio : « +23% en un an en grande distribution, +7% à la production »

« Entre le 1er semestre 2022 et le 1er semestre 2023, le prix du lait demi-écrémé, la référence bio la plus vendue en France avec 7 à 8% de chiffre d’affaires de la bio, a augmenté de 23% en grande distribution, de 5% en magasins bio spécialisés et de 7% à la production. Sur les œufs, qui assurent la moitié des débouchés des grandes cultures bio françaises, c’est la même chose. Sur la même période, la boite de 6 œufs a augmenté de 23% en grande distribution, de 11,4% en magasins spécialisés et de 8,5% à la production.

Local : « 1 bio sur 2 est en local contre 1 sur 4 en conventionnel »

« Le local n’est pas défini juridiquement. C’est une allégation. C’est comme dire : « c’est bon ». Tout le monde a le droit de dire : « c’est bon » parce que c’est relatif. Pour une organisation nationale, le local, c’est la France, pour une organisation régionale, c’est la région, etc. Le terme local est juridiquement flou, fallacieux dans certain cas. Est-ce que la gamme bio française est plus locale que la gamme conventionnelle ? Un producteur bio sur deux est en vente directe contre un sur quatre en conventionnel ».

Communication : « A propos de la bio, il vaut mieux parler de discrétion »

« L’achat de produits bio représentait 6% du budget alimentaire des ménages français en 2022. La part de marché de Lidl est quant à elle de 6,8%. A part de marché équivalente, le budget communication de l’Agence bio est 1000 fois inférieur à celui de Lidl. Plus on entend parler d’une marque, plus elle est connue et plus elle est connue en bien. La bio est invisible, sauf dans les médias, où on ne parle que de « la crise de la bio ». La bio, on en parle que quand ça va mal. Mais avec 500.000 euros, on ne peut pas s’exprimer. Ce n’est pas de la communication, c’est de la discrétion. En France, les plus gros annonceurs sont les grandes firmes alimentaires et les grands distributeurs, qui vendent surtout des produits alimentaires. Donc l’alimentation est un univers de communication et dans cet univers, la bio devient de plus en plus discrète ».