« La concentration des exploitations n’a pas attendu le développement de la sous-traitance »

Professeur des universités en sociologie, François Purseigle est le co-auteur d’une étude inédite sur la sous-traitance et la délégation du travail en agriculture. Les chercheurs ont réalisé durant cinq ans une vaste enquête auprès des acteurs de la prestation de services, complétée par un sondage d’opinion auprès de 1.500 agriculteurs du Sud-Ouest. Entre 2000 et 2016, le nombre d’exploitations y ayant recours a été multiplié par deux. La délégation de travaux est un des marqueurs des mutations de l’agriculture. François Purseigle en a dressé quelques contours à l’occasion d’une conférence de presse de la Fédération nationale des entrepreneurs des territoires (FNEDT). Verbatim.

« On n’a plus que 1,5% de chefs d’exploitations en France et on va sans doute passer d’ici à 10 ans sous la barre symbolique des 1%. Non seulement les chefs s’effacent mais les collatéraux qui travaillaient jadis sur les exploitations y travaillent de moins en moins. On a donc une chute de l’ensemble de la population active de type familial. Ces actifs disparaissent au profit du salariat mais surtout au profit aussi de nouvelles formes de délégation du travail. Entre 2010 et 2016, le nombre d’exploitations agricoles ayant recours de façon significative à de la délégation et de la sous-traitance agricole a augmenté de +53%. Ce marché représente aujourd’hui 4,4 milliards d’euros.

La sous-traitance, deux nouveaux objets

On passe d’une sous-traitance de capacité, qui concernait essentiellement les toutes petites exploitations, qui avaient besoin d’avoir recours à du matériel spécifique pour certains chantiers, à une sous-traitance et délégation de type stratégique, obéissant à deux logiques distinctes. L’une a trait à l’incapacité de trouver des repreneurs, avec des nouveaux besoins de prise en charge, même sur un temps générationnel court, de tout ou partie de l’activité de production agricole. L’autre correspond à une stratégie de recentrage d’activité, en faisant appel à des entreprises développant des services toujours plus en pointe, en matière d’optimisation des épandages ou des traitements.

Et les Cuma ?

Depuis la réforme de la Pac en 1992, on assiste à la création d’un nombre d’ETA sans précédent dans l’histoire et à une baisse du nombre de Cuma. Le coût d’entrée dans l’action collective est peut-être plus onéreux aujourd’hui.

La fin de l’exploitation familiale à deux UTH ?

12,5% des exploitations en grandes cultures délèguent à des tiers l’intégralité des travaux en grandes cultures. En Haute-Garonne, 14% des exploitations délèguent intégralement, ce qui correspond à 22% des exploitations de grandes cultures de ce département. Le phénomène touche cette France agricole de l’ouest qui a été cette France de l’exploitation familiale à deux UTH, que l’on a soutenu politiquement, que l’on a accompagné et qui aujourd’hui vieillit énormément, avec jamais aussi peu de jeunes agriculteurs en son sein.

Des ETA mais aussi des agriculteurs, des JA, des Ceta, des Cuma...

Les ETA ne sont pas les seuls acteurs de la délégation. Les jeunes agriculteurs et plus largement les exploitations ont, dans certaines régions, développé des activités de prestations en nom propre ou en société. Selon les chiffres du ministère, 3% des agriculteurs font du travail à façon, un chiffre que je pense en-delà de la réalité et qui mériterait d’être recoupé. On voit également émerger de nouveaux acteurs comme des coopératives, des Cuma intégrales qui font aussi de plus en plus des travaux complets, ou des Ceta qui sont su développer des activités de prestation pour le compte de leurs propres adhérents, aux prises avec des difficultés de reprise ou qui veulent se convertir dans le bio par exemple.

L’industrie agroalimentaire pousse à la roue

Dans le sud-ouest, mais aussi dans le nord-est, on voit l’émergence de nouvelles organisations de la production en lien étroit avec des industriels, notamment la biscuiterie bio allemande car c’est beaucoup plus difficile de contractualiser avec des exploitants agricoles, la gestion des risques est peut-être aussi plus aléatoire, certains agriculteurs hésitent à contractualiser. Certains industriels préfèrent avoir recours à des entreprises qui font tampon entre l’exploitant et leurs usines pour maintenir une capacité de collecte régulière.

Logique entrepreneuriale ou patrimoniale ?

Pour des raisons patrimoniales, la famille joue parfois contre l’exploitation et contre le projet de reprise et on a alors recours à un sous-traitant parce que l’on ne veut pas se départir, non pas de l’exploitation vue comme un projet économique mais de l’exploitation vue comme un patrimoine. Cette prise en charge renvoie parfois à des abandons temporaires. Des Cuma et des ETA qui réalisent du travail à façon le temps d’une génération et l’exploitation repart ensuite dans le giron de celui qui été désigné comme successeur. Il y a aussi des enfants d’agriculteurs qui ne reprennent pas l’exploitation mais qui sont attentifs à la manière dont elle sera gérée. C’est une nouvelle demande qui se joue dans les familles, notamment au sein des collatéraux qui ne sont pas sur l’exploitation mais qui ont des attentes très fortes autour des questions de transition agroécologique ou numérique.

La prestation au détriment de l’installation et de la démographie ?

Il ne faut pas opposer politique d’installation, installation et prise en charge du travail. La prise en charge du travail peut être transitoire et au service d’une reprise qui va intervenir plus tardivement. C’est intéressant de constater la capacité à mobiliser des acteurs pour faire face à une difficulté, en l’occurrence la reprise. Ce n’est pas le développement de la sous-traitance qui provoque l’effondrement du nombre de chefs d’exploitations et la pyramide des âges complètement inversée en agriculture. Il faut s’interroger sur les raisons pour lesquelles il n’y a pas forcément adéquation entre l’offre et la demande de reprises.

Pas de responsables ?  

On peut regretter l’effacement des chefs d’exploitation mais c’est ainsi, c’est une réalité sociale et économique. On voit bien que les demandes sont multiples de la part des exploitations agricoles, que les exploitants participent aussi de ce mouvement car ils sont eux-mêmes porteurs parfois d’un projet patrimonial. Quand,  à des agriculteurs et mêmes des responsables professionnels agricoles, on pose la question : avez-vous un repreneur ? Bien souvent, la réponse est la suivante : je ne sais pas qui va reprendre. Et à la question : que voulez-vous faire de la ferme ? La plupart répond : je la mettrai en gérance le temps que le petit-fils ou le neveu la reprenne, il faut arriver à balayer chacun devant sa porte et être lucide.

Il faut se poser la question par contre de tous les dispositifs qui peuvent permettre le maintien de l’activité agricole et le maintien d’actifs sur les territoires, c’est une question importante. Les ETA ont aussi un rôle à jouer dans l’insertion aux métiers de l’agriculture. On peut être salarié d'une ETA dans un premier temps, avant de reprendre une exploitation dans laquelle on peut monter en capital, on peut être imaginatif. Mais il faut être vigilant, faire attention à ce que le territoire ne soit pas déménagé. »