La rotation, premier levier de sécurisation du blé dur bio dans le Sud-Est

C’est l’une des conclusions du projet de recherche Biodur-Paca, qui pointe également le choix variétal, la fertilisation et la maîtrise du désherbage. Moyennant ces points de vigilance, que le projet a bien affinés, le blé dur a des arguments pour rivaliser avec le blé tendre bio et satisfaire les exigences technologiques des industriels.

« De nombreux agriculteurs se convertissant à la bio remplacent le blé dur par le blé tendre car en dépit de la différence de prix, la culture est plus exigeante en terme qualitatif et plus incertaine, jusqu’à la dernière minute ». Lors de la dernière édition de Med’Agri (Avignon), Mathieu Marguerie, ingénieur régional chez Arvalis, rappelé le fondement du projet Biodur-Paca, lancé en 2019, coordonné avec Agribio 04 et associant de nombreux partenaires (*). Le projet a cumulé trois types d’essais (variétaux, agronomiques, plein champ) durant trois campagnes.

Rendement, protéines, mitadins et indice de nutrition azotée du blé dur bio après céréales à pailles, légumineuse annuelle, légumineuse pluriannuelle (Source : Arvalis)
Rendement, protéines, mitadins et indice de nutrition azotée du blé dur bio après céréales à pailles, légumineuse annuelle, légumineuse pluriannuelle (Source : Arvalis)

La rotation, facteur déterminant

En moyenne, toutes variétés confondues, en bonne situation azotée, à savoir derrière une légumineuse annuelle, ou encore mieux, derrière une luzerne, le blé dur est plus rentable que le blé tendre. En revanche, en situation azotée dégradée, tel que par exemple derrière une céréale à paille, la rentabilité du blé tendre est supérieure. « Outre la supériorité du rendement, le blé dur derrière luzerne est crédité d’un taux de protéines de 13% et d’un taux de mitadins de 15%, contre respectivement 9,9% et 52% derrière une céréale à pailles », explique Clémence Rivoire, conseillère grandes cultures à Agribio 04. Les précédents légumineuses ont en outre l’avantage de simplifier le désherbage, comparativement à une céréale à pailles. En revanche, leur valorisation, relative, peut affecter le bilan financier à l’échelle de la rotation. « La luzerne et le sainfoin ne sont pas les cultures les plus rentables dans le Sud-Est, admet Mathieu Marguerie. Mais en bio, il faut raisonner sur la rotation et ces légumineuses répondent à des besoins agronomiques. D’où l’idée de mettre la culture la plus rentable derrière, tout en essayant simplifier leur implantation et de les valoriser au mieux en local ».

Comparaison des performances de 26 variétés sur la base du compromis rendement / protéines, de la tolérance au stress hydrique et des exigences technologiques des industriels (Source Arvalis)
Comparaison des performances de 26 variétés sur la base du compromis rendement / protéines, de la tolérance au stress hydrique et des exigences technologiques des industriels (Source Arvalis)

Variétés : du compromis et de l’adaptation au stress hydrique

Le projet a réalisé un important travail de screening variétal, en analysant notamment leurs qualités technologiques (protéines, mitadins) ainsi que le comportement en situation de stress hydrique. « En bio, plus on fait de rendement, moins on a de protéines et moins on a de protéines, plus on a de mitadins, souligne Mathieu Marguerie. On va donc chercher des variétés de compromis, en évitant les trop productives, qui font beaucoup de grain au mètre carré et qui décrochent en protéines, sauf en conditions optimales derrière luzerne et sur bon sol ».

En blé dur, la marge économique est cependant davantage liée au rendement qu’aux critères qualitatifs. Selon Arvalis, le niveau de marge nette peut varier du simple au double selon la variété, d’où l’importance de ce critère de choix. S’agissant de l’adaptation au stress hydrique, Arvalis a eu recours à des techniques de phénotypage rapides, lesquelles ont permis de pointer de réelles différences entre variétés.

L’institut s’est aussi penché sur les mélanges de variétés. Verdict ? « Le fait de mélanger n’apporte pas de plus-value par rapport aux variétés individuelles du mélange », tranche Mathieu Marguerie.

Fertilisation : le climat plutôt que le stade

En ce qui concerne la fertilisation, la recommandation générale consiste à ne pas descendre en-deçà de 50 à 60 unités d’azote par hectare. Contrairement aux pratiques en vigueur en conventionnel, c’est moins le stade de la céréale que les conditions météorologiques qui vont conditionner le positionnement de l’engrais. « Pour valoriser un produit organique, il faut au minimum 15 mm de pluie dans les 15 jours suivants l’apport, indique Clémence Rivoire. Si les bouchons du premier apport sont toujours en surface par défaut de pluie, le second apport ne sera pas nécessaire car il ne sera pas valorisé ». Moyennant le respect de la réglementation entourant les zones vulnérables, l’anticipation des apports favorise la minéralisation précoce et le rendement. Les apports tardifs, après épi 1 cm, favorisent la protéine.

Le projet a mis aussi en évidence l’intérêt de semer en inter-rang de la féverole. « Sans forcément pénaliser le rendement, précise Mathieu Marguerie, car sur des potentiels de 40 q/ha à 50 q/ha en bio, le blé compense par ses composantes de rendement. La féverole, qui sera détruite par un binage au GPS, apporte enter 0,5 et 1 point d’azote, ce qui n’est pas négligeable ».

Désherbage : des solutions multiples

On est là à la croisée de la nutrition azotée et de la maîtrise des adventices. Le binage est en effet l’une des techniques de désherbage étudiées dans le projet Biodur-Paca. Pas forcément la plus répandue, elle a notamment l’avantage d’ouvrir de nouveaux créneaux d’intervention. Moyennant GPS et écartements adaptés, le binage peut compléter l’action de la herse étrille, efficace jusqu’au tallage mais limitée au stade 1ère feuille voire filament des adventices pour être efficace. La houe rotative compense quant à elle les limites de la herse étrille, notamment en présence de débris végétaux.

"Le semis tardif n’est pas forcément synonyme de perte de rendement"

A ces interventions en culture s’ajoutent bien entendu la rotation et la gestion de l’interculture (déchaumage, faux-semis, couverts végétaux), qui  constituent les bases du désherbage. « En bio, semer trop tôt peut favoriser l’enracinement et prévenir le stress hydrique, indique Mathieu Marguerie. Mais le semis précoce expose davantage la culture la culture à la concurrence du ray-grass. Entre un semis le 26 octobre avec 400 ray-grass au m2 et un semis au 19 novembre avec 85 ray-grass au m2, on passe de 30 q/ha à 50 q/ha. Le semis tardif n’est pas forcément synonyme de perte de rendement ».

Une conjoncture qui s’est retournée

Forts des enseignements du projet Biodur-Paca, techniciens et agriculteurs disposent désormais d’éléments tangibles pour positionner au mieux leur blé dur dans la rotation et pour réaliser des choix éclairés en matière de conduite culturale. A ceci près que la conjoncture s’est quelque peu retournée entre le début et la fin du projet de recherche. « Pour la première fois, on observe un déséquilibre des marchés des céréales bio avec une offre supérieure à la demande, déclare Clémence Rivoire. S’agissant du blé dur bio, le marché est très confidentiel. Si la production augmente, les exigences qualitatives pourraient aussi se renforcer ». D’où Biodur-Paca.

(*) Chambres d’agriculture, INRAE, La Coopération Agricole, lycées agricoles d’Aix-Valabre et de La Ricarde, organismes stockeurs, Région Sud (financeur avec l'UE), pastiers