Lavande et lavandin : des huiles vraiment essentielles ?

Aux prises à la surproduction et à une forte concurrence, la filière est aussi menacée par la révision du règlement européen Reach sur « la stratégie de la chimie durable ». L’UE contrarie également la mise en œuvre d’un plan national d’arrachage doté de 10 millions d’euros. La goutte d’huile qui fait déborder le flacon.

« Avec une troisième année consécutive de vente à perte, on s’achemine vers la disparition des producteurs de lavande et de lavandin dans les zones traditionnelles ». Président du syndicat de producteurs PPAM de France et du comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises (CIHEF), Alain Aubanel tire la sonnette d’alarme. La filière lavandicole est aux prises depuis 2019 à une surproduction chronique. « Le marché est bouché pour quelques années », pronostique le producteur et responsable professionnel.

Selon le syndicat de producteur PPAM de France, un quart des 3.115 exploitations productrices réalise plus de 50% de leur chiffre d’affaires avec la lavande et le lavandin
Selon le syndicat de producteur PPAM de France, un quart des 3.115 exploitations productrices réalise plus de 50% de leur chiffre d’affaires avec la lavande et le lavandin

Depuis 2016, les superficies de lavandin et de lavande ont progressé de 49%, pour s’établir respectivement à 24.000 ha et 8.000 ha, soit 39% et 9% du total des Plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM), cultivées du 67.513 ha (2021). La faute aux prix très rémunérateurs qui ont fait exploser les surfaces dans la zone traditionnelle, à savoir la Région Sud et le département de la Drôme qui concentrent 90% de la production nationale, mais également dans les régions Auvergne Rhône-Alpes, Centre Val de Loire ou encore Occitanie et Nouvelle-Aquitaine.

"En gros, toux ceux qui avaient des soucis se sont dit : on va faire du lavandin, ce n’est pas très compliqué et c’est très rémunérateur"

Ici, ce sont des céréaliers malmenés par la Pac de 2014 qui se sont diversifiés. Là, ce sont des arboriculteurs victimes de la sharka ou encore des viticulteurs qui n’y trouvent plus leur compte. « En gros, toux ceux qui avaient des soucis se sont dit : on va faire du lavandin, ce n’est pas très compliqué et c’est très rémunérateur », résume Alain Aubanel. Problème : le différentiel de rendement ne place par tous les producteurs sur un pied d’égalité. « En zone traditionnelle, quand on fait 80 kg/ha d’huile essentielle, on a fait une très bonne saison, poursuit le responsable. Mais quand vous êtes dans de très bonnes terres de la vallée du Rhône, irriguées par-dessus le marché, vous êtes à 250 kg/ha ».

La lavandiculture a aussi essaimé à l’est de l’UE, et notamment en Bulgarie. Et là, ce sont les prix qui ont étrillé les producteurs français, avec une huile qui se négocie à 32 €/kg contre un minimum de 80 €/kg en France. Il faut dire que pour faciliter leur mise à niveau, les pays de l’Est ont bénéficié de programmes d’aide à l’investissement particulièrement avantageux, « jusqu’à 80% contre 40% en France », précise Alain Aubanel. La crise du Covid, impactant la consommation de parfums et de produits cosmétiques, puis la guerre en Ukraine, et son incidence sur le coût de la distillation, n’ont fait qu'amplifier la crise.

Un plan d’arrachage contrarié

Les appels au secours de la filière ont cependant été entendus par les pouvoirs publics, qui ont dégagé une enveloppe de 10 millions d’euros destinée à financer un plan d’arrachage de 5.000 ha. Avec l’envolée des cours des céréales et oléagineux, consécutive à la guerre en Ukraine, les céréaliers avaient déjà sorti les broyeurs. Mais reste à convaincre les autres néo-lavandiculteurs de les imiter, sachant que les producteurs des zones traditionnelles ont peu d’alternatives. « Un quart des 3.115 exploitations productrices réalise plus de 50% de leur chiffre d’affaires avec la lavande et du lavandin », indique Alain Aubanel.

Là n’est pas le seul problème. Règles de la concurrence oblige, l’UE est très regardante sur le dispositif, qui pourrait être assimilé à une mesure de régulation de marché, honnie par la Commission. « Une aide à l’arrachage impliquerait d’exclure les terres de toute production agricole pendant 20 ans, hors jachère et forêt », relate le président de PPAM de France. Le dépassement du régime des minimis (20.000 € sur trois exercices fiscaux) pourrait aussi gêner aux entournures. Professionnels et pouvoirs publics cherchent encore la martingale.

Ombres et lumières

Autre ombre au tableau : la révision des règlements européens Reach et CLP, portant sur les substances chimiques et les règles d’étiquetage. Elle pourrait porter un coup fatal aux huiles essentielles, naturelles, faut-il le préciser, en assimilant celles-ci à des mélanges de composants pour certains dangers (CMR, perturbateurs endocriniens...) ou encore en considérant les sensibilisants cutanés comme des substances très préoccupantes, avec à la clé des pictogrammes ou des phrases de risques à faire fuir les consommateurs, et donc les industriels. « Toutes les huiles essentielles sont concernées », précise Alain Aubanel. Les plantes aromatiques et médicinales sèches sont quant à elles sous le coup d’une réglementation sur les alcaloïdes pyrolizidiniques (AP), classés CMR.

Bref, le ciel s’assombrit sur les PPAM mais les producteurs ne perdent pas espoir. Outre leur combat sur le plan d’arrachage et les règlements européens, ils misent aussi sur le classement au patrimoine mondial de l'Unesco des « paysages olfactifs et poétiques de la lavande », dont la candidature a été déposée le 4 juillet dernier. Côté lavandin, c’est un dossier IGP qui est en cours d’élaboration. La filière soigne aussi ses atouts en terme de biodiversité et de fixation du carbone, avec de projets de labellisation (LBC, HVE). Elle travaille à renforcer la robustesse de sa charte environnementale, sociale et solidaire Censo. Des perspectives quelque peu fugaces et volatiles, au regard des autres problématiques, mais néanmoins essentielles et vitales sur le moyen et long terme, juge la profession.