Sur la piste des utopistes de la pistache de Provence

En dépit de nombreuses inconnues technico-économiques, la pistache made in Provence ressort de sa coque à l’initiative de quelques aventuriers, en quête d’oasis face au changement climatique. Décortication avant dégustation, sans modération, l’été prochain.

Ils s’appellent Jean-Louis Joseph et Maxence Garanjoud. Ils ont un âge certain. Le premier s’enorgueillit d’être l’un des tout premiers producteurs de pistaches des temps modernes, traces du pistachier remontant au début du XXème siècle en Provence. A La Bastidonne (Vaucluse), il en a planté 5 ha en bio, sur des terres alors occupées par la vigne et des céréales. Non loin de là, à Montfuron (Alpes de Haute-Provence), le second en a planté 20 ha et s’apprête à doubler la mise, en bio aussi. Et pourtant. « Les données technico-économiques ne sont pas finalisées et nous n’avons pas de recul sur la productivité de l’espèce dans la région », expliquait Benoit Dufaÿ, chargé de mission à France Pistache, à l’occasion d’une conférence à Med’Agri, le salon des cultures méditerranéennes.

Jean-Louis Joseph (à gauche) et Maxence Garanjoud, deux jeunes producteurs de pistaches qui ne craignent pas de s ‘étrangler (Crédit photo : R. Lecocq)
Jean-Louis Joseph (à gauche) et Maxence Garanjoud, deux jeunes producteurs de pistaches qui ne craignent pas de s ‘étrangler (Crédit photo : R. Lecocq)

Oui mais voilà. « Le pistachier est très résistant à la sécheresse et très résilient », poursuivait l’ingénieur agronome. Or dans une région qui pourrait être condamnée au régime de la semi-aridité sous l’effet du changement climatique, l’agriculture se cherche des oasis et le pistachier pourrait se réinviter dans le paysage provençal.

De la bogue à la coque

De la famille des Anacardiacées (comme la noix de cajou et la manguier), le pistachier (Pistache vera) est une espèce dioïque (arbres mâles et femelles). Un panel trois porte-greffes et de huit variétés a d’ores-et-déjà été identifié comme étant compatible avec les conditions pédoclimatiques provençales. Elles sont issues du bassin méditerranéen et du Proche-Orient, qui concentrent avec les Etats-Unis (476.000 t en 2021) l’essentiel de la production mondiale de pistache, la Turquie (250.000 t) et l’Iran (190.000 t) se rangeant derrière les USA. L’UE en produit 18.000 t, notamment en Espagne (10.000 t), Grèce (8.000 t) et Italie (3.000 t). La France en importe bon an mal an 10.000 t. La consommation mondiale progresse constamment.

Enfermée dans une bogue et une coque, la pistache peut être récoltée verte manuellement 3 à 4 semaines avant maturité, ou déhiscente en coque au moyen d’un vibreur type olive (Crédit photo : R. Lecocq)
Enfermée dans une bogue et une coque, la pistache peut être récoltée verte manuellement 3 à 4 semaines avant maturité, ou déhiscente en coque au moyen d’un vibreur type olive (Crédit photo : R. Lecocq)

Les premières mises à fruits interviennent entre 6 et 8 ans. La récolte s’opère au vibreur (comme l’olive et la cerise d’industrie) sinon à la main dans le cas de la pistache verte, récoltée 3 à 4 semaines avant maturité. Après récolte, les pistaches sont écalées et séchées (dans les 48 heures pour éviter mycotoxines et aflatoxines) puis commercialisées avec leurs coques pour le snacking, sinon cassées et émondées pour servir différents débouchés (pâtisseries, glaces, boissons végétales...).

200 ha et une filière déjà bien avancée

En Provence, la relance du pistachier s’est formalisée en 2018 avec la création de l’association Pistache en Provence, puis du syndicat de producteurs France Pistache en 2021. Le tout participe à l’émergence et à la structuration d’une filière, des pépinières à la mise en marché en passant par l’expertise technique en culture et post-récolte, sous l’égide notamment de la Chambre d’agriculture du Vaucluse. Le verger totaliserait 200 ha.

Benoit Dufaÿ, chargé de mission à France Pistache : « Les données technico-économiques ne sont pas finalisées et nous n’avons pas de recul sur la productivité de l’espèce en Provence » (Crédit photo : R. Lecocq)
Benoit Dufaÿ, chargé de mission à France Pistache : « Les données technico-économiques ne sont pas finalisées et nous n’avons pas de recul sur la productivité de l’espèce en Provence » (Crédit photo : R. Lecocq)

Les producteurs ont pu ainsi bénéficier des enseignements de plusieurs programmes de recherche, dont l’un portant sur l’irrigation. « Le pistachier requiert des sols le plus légers possible et très drainants, sous peine de mourir par asphyxie racinaire, explique Benoit Dufaÿ. Mais il ne déteste pas non plus un peu d’eau, l’irrigation ayant pour effet de limiter le phénomène d’alternance ». Selon le projet Aper’EAU, entre 64 et 100 mm d’eau par an placerait l’arbre dans des conditions favorables. S’il aime la chaleur, le pistachier a aussi besoin de froid (entre 400 et 900 heures) pour assurer l’induction florale, ce qui pourrait l’interdire des zones littorales.

Côté phytosanitaire, les producteurs vont devoir jouer des coudes pour bénéficier d’AMM temporaires, le pistachier n’étant pas indemne de maladies (septoriose, alternariose, verticilliose...) et de ravageurs (coléoptères et guêpes).

Premières récoltes en 2023

En aval, la filière peut miser sur le groupe FLDI qui a adapté sa gamme Coquas pour casser la coque des pistaches. En ce qui concerne les débouchés, les producteurs ont éveillé l’intérêt du groupe Territoire de Provence, propriétaire de plusieurs entités de fabrication de nougats, pistaches enrobées et autres biscuits, et qui recourt aujourd’hui à l’importation. Le pâtissier Pierre Hermé a aussi manifesté son intérêt.

Les premières mises à fruits interviennent entre 6 et 8 ans pour des rendements escomptés en amandons compris entre 1 et 1,5 t/ha, sur la base de 300 arbres par ha (Crédit photo : Jean-Louis Joseph)
Les premières mises à fruits interviennent entre 6 et 8 ans pour des rendements escomptés en amandons compris entre 1 et 1,5 t/ha, sur la base de 300 arbres par ha (Crédit photo : Jean-Louis Joseph)

Reste à produire les pistaches, sachant qu'à raison de 25 à 30 euros l’arbuste et d’une densité de 300 arbres par ha, l’investissement de départ est important et que l’espèce, pas encore reconnue par les instances, ne bénéficie pas d’aides à la plantation.

Pas de quoi étrangler Jean-Louis Joseph et Maxence Garanjoud, qui espèrent récolter entre 1 t/ha et 1,5 t/ha d’amandons en pleine production. « Sur mon exploitation, je pense que la pistache sera plus rentable que l’olive et la truffe, déclare Jean-Louis Joseph, qui lorgne sur les 40 €/kg payés en Italie, moins sur les 8 €/kg payés en Espagne. Il récoltera en 2023 les premières pistaches made in France.  « Made in Provence », corrige-t-il. Tout sauf une utopie.