Le cancer de la prostate dû aux pesticides reconnu comme maladie professionnelle

Cette reconnaissance va notamment permettre d’indemniser les victimes de la chlordédone, un insecticide organochloré à l’origine d’une catastrophe sanitaire et écologique en Guadeloupe et en Martinique, où plus de 90% de la population est contaminée, presque 30 ans après le retrait du marché de la molécule.

Après la reconnaissance de la maladie de Parkinson en 2018 (tableau des maladies professionnelles numéro 58) et des hémopathies malignes en 2019 (tableau numéro 59), le cancer de la prostate causé par l’exposition aux pesticides est reconnu comme maladie professionnelle à travers la création du tableau numéro 61, en vertu du décret 2021-1724 du 20 décembre 2021, paru au Journal officiel du 22 décembre.

Cette reconnaissance découle d’une expertise de l’Inserm du 30 juin 2021 et d’un avis de l’Anses le 2 juillet 2021, concluant à un lien probable entre l'exposition de certains pesticides, dont le chlordécone, et la survenue du cancer de la prostate. Elle a été actée par la Commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (Cosmap) le 12 octobre dernier. Elle s’inscrit dans le cadre du Plan chlordécone 4 (2021-2027) visant à protéger au mieux la population antillaise face à la pollution à la chlordécone et à prendre en charge les impacts liés à cette pollution.

Deux paramètres de prise en charge

Le délai de prise en charge entre la cessation de l’exposition au risque et le premier constat médical de la maladie est fixe à 40 ans, une durée généralement admise pour ce genre de cancer et qui permet de prendre en charge les personnes exposées à la chlordécone lorsqu’elle était autorisée. Le second paramètre requis concerne la durée de l’exposition à l’insecticide : elle est fixée à 10 ans, soit la même durée que celle appliquée à la maladie de Parkinson et aux hémopathies malignes.

Fonds d’indemnisation

Cette reconnaissance ouvre la voie à l’indemnisation des victimes par le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides, créé en 2020. A ce titre, les non salariés agricoles bénéficient d’un complément permettant d’aligner leur indemnisation sur celle des salariés. Le fonds est par ailleurs ouvert aux retraités ainsi qu’aux enfants in utero. Les victimes bénéficient également d’un délai allongé pour déposer leur dossier de demande d’indemnisation, en l’occurrence deux ans suivant la date d’établissement du certificat médical informant du lien possible entre la maladie et l’exposition aux pesticides.

Le tableau 61 sera applicable au régime agricole ainsi qu’aux travailleurs agricoles ultramarins qui relèvent du régime général.

Après le cancer de la prostate, la Cosmap a mis à son agenda l’examen d’une autre maladie en lien avec les pesticides, à savoir la Broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), mettant en cause notamment la perméthrine et le chlorpyrifos.

Catastrophe sanitaire et écologique

La chlordécone est un insecticide organochloré, perturbateur endocrinien avéré, neurotoxique classé cancérogène possible en 1979. Il a été interdit d’usage aux Etats-Unis dès 1975 quand la France l’a autorisé jusqu’en 1990 et même jusqu’en 1993 aux Antilles par le biais d’une dérogation. L’insecticide permettait de combattre le charançon, dont les larves forent le bulbe et fragilisent l’alimentation et l’ancrage des bananiers. La poudre de chlordécone a contaminé, pour plusieurs centaines d’années, les sols, les végétaux, les animaux terrestres, aquatiques et marins et se retrouve dans les chaines alimentaires. Aux Antilles, le secteur de la pêche est soumis à des interdictions et à des restrictions par secteurs et par espèces, affectant la pêche en rivière comme en mer. Sur les sols contaminés, l’élevage ainsi que la production de légumes souterrains (patate douce, igname...) et au contact du sol (giraumons, pastèques, melons, concombres...) sont bannis.

Les populations antillaises présentent un taux d'incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde. Plus de 90% de la population adulte en Guadeloupe et en Martinique est contaminée par le chlordécone, selon Santé publique France.