Le retour du débat sur les jachères

[Edito] La mise en culture des jachères au nom de la souveraineté alimentaire européenne, voire de la sécurité alimentaire mondiale : comme l’an dernier, le débat revient à l’agenda politique et syndical dans le contexte de la guerre en Ukraine. La bataille en vaut-elle le coup ?

Faut-il reconduire la dérogation sur la mise en culture des jachères pour 2024 ? Rappel des faits : en août dernier, face aux conséquences de la guerre en Ukraine et dans le but d’assurer la sécurité alimentaire mondiale, la Commission européenne avait octroyé aux Etats membres de l’Union européenne la possibilité de cultiver les terres en jachère, dérogeant ainsi aux règles de la nouvelle Pac 2023-2027 à peine adoptée.

Dans le détail, ces dérogations portent sur deux BCAE (Bonnes conditions agricoles et environnementales) normalement requises pour percevoir les aides Pac : les BCAE 7 et 8, qui imposent des règles relatives à la rotation des cultures et à la mise en place de terres arables dédiées à la jachère et aux infrastructures agroécologiques (haies, murets, bosquets, bordures enherbées). Pour la campagne 2022-2023, les agriculteurs n’étaient donc pas concernés par ces obligations.

Août 2023 : force est de constater que la situation géopolitique ne s’est pas apaisée, loin de là. La guerre entre la Russie et l’Ukraine perdure, les flux logistiques demeurent fortement perturbés, la situation s’étant même aggravée ces derniers jours suite au retrait de la Russie de l’accord sur le corridor sécurisé en mer Noire ainsi qu’aux attaques sur les ports ukrainiens.

Dans ce contexte, plusieurs pays de l’UE, dont la France, ont demandé la prolongation pour 2024 de la dérogation pour la mise en culture des jachères. « Les conditions géopolitiques, de fluidité des marchés et les conséquences du dérèglement climatique sont aujourd’hui plus inquiétantes que celles qui avaient justifié des mesures de dérogations à la PAC pour 2022 et 2023 », a justifié le ministre de l’agriculture Marc Fesneau lors du conseil des ministres de l’Agriculture de l’Union européenne le 25 juillet. La demande avait également été formulée par la FNSEA et la Coordination rurale quelques jours auparavant.

Sauf que. La Commission européenne n’est pas de cet avis, au nom de la « crédibilité de la Pac », mais aussi en raison de la complexité législative que nécessiterait une telle reconduction de la dérogation. Se pose aussi la question de l’impact réel d’une telle mesure, au regard des surfaces concernées par les jachères et de la productivité de ces terres, sur la « sécurité alimentaire mondiale » et la « souveraineté européenne ».