MERCOSUR ou MERCO pas sûr ?

Succédant au brésilien Roberto Azévédo à la tête de l’OMC, la nomination de la nigériane Ngozi Okonjo-Iweala comme Directrice générale, met un terme à plusieurs mois de vacance du pouvoir pour l’institution de Genève. Si l’optimisme d’une nouvelle ère de la gouvernance commerciale multilatérale ne peut qu’être mesuré au regard des années passées sans aboutir à un accord entre les quelque 165 pays membres, la réputation de Madame Okonjo-Iweala laisse entrevoir une éclaircie dans la régulation des flux commerciaux de marchandises.

Il n’en demeure pas moins que l’état des lieux du commerce mondial n’a rien de réjouissant. A tel point que même la solution alternative aux blocages de l’OMC, à savoir les accords préférentiels bilatéraux ou régionaux, semble avoir du plomb dans l’aile. A la faveur de la pandémie et de la prise de conscience simultanée que la dépendance de l’Europe envers quelques nations en mesure de fournir certains produits est manifestement trop élevée, du fait également de des craintes que font peser les incertitudes climatiques, des voix, de plus en plus nombreuses, se font entendre pour dénoncer les accords commerciaux que l’UE a signés, notamment avec le Canada et les quatre nations formant le MERCOSUR. Le Président Macron avait déjà averti qu’il ne saurait être question de ratifier un accord de libre-échange sir l’une des nations du MERCOSUR, en l’occurrence le Brésil, ne se conformait pas aux engagements pris lors de la COP21 en 2015, pointant du doigt la question de la déforestation occasionnée notamment par la culture du soja.

Le déroulement des négociations entre l’UE et le MERCOSUR, jusqu’à la signature de l’accord, avait déjà soulevé quelques questionnements sur le bien-fondé de ce Traité de libre-échange, les contingents à droits réduits ou nuls suscitant l’inquiétude du côté des éleveurs de viande bovine et de volaille notamment. Ces questionnements resurgissent aujourd’hui, puisque la Présidence portugaise de l’UE a réactivé les pourparlers sur la perspective de la ratification par le Parlement européen puis, sans doute, par les Parlements nationaux et régionaux des Etats membres.

Alliances inattendues

Les agriculteurs de l’UE estiment depuis le début que cet accord est déséquilibré, et plus spécifiquement sur les viandes, et ont, légitimement, interpellé la Commission sur les effets cumulés sur le secteur agricole de tous les accords signés précédemment (Ukraine, Chili, Canada…). Au-delà des viandes, la question des impacts est pleinement posée s’agissant du sucre, domaine fortement secoué depuis l’abrogation des quotas sucriers en octobre 2017. Les agriculteurs ont de surcroît pris la pleine mesure des inquiétudes émanant des consommateurs européens, de plus en plus attentifs à la traçabilité des produits et à leur qualité tant gustative que sanitaire.

La perspective d’une application de l’accord MERCOSUR provoque également quelques alliances inattendues, comme celle entre Interbev, l’Institut Veblen et la Fondation Nicolas Hulot, qui stigmatise les incohérences de l’Etat français en ce domaine. Les engagements d’Emmanuel Macron leur semblent déphasés par rapport au refus de rouvrir les négociations avec le Paraguay, l’Argentine, l’Uruguay et le Brésil, voire, carrément, de rejeter purement et simplement l’accord de juin 2019. Bien plus encore, le flou régnant en matière de procédure de ratification de l’accord anime les soupçons sur la véritable intention de Bruxelles, celle de contourner un vote par les représentations nationales et la règle de l’unanimité au Conseil européen. La contestation se situe donc sur un double registre. Celui des impacts économiques et environnementaux, et sur celui plus institutionnel.

L’accord MERCOSUR incarne à lui seul – même si celui signé avec le Canada avait aussi suscité des réactions négatives, sans parler du fameux TTIP, suspendu sous la Présidence de Donald Trump – une vision dégradée de la mondialisation et de ses illusoires promesses, et, plus spécifiquement encore, des agissements de la Commission européenne. Car en la matière, ce qui anime les contradicteurs de la Commission, c’est à nouveau l’incohérence flagrante entre les intentions de Bruxelles au travers de la Stratégie Green Deal, et l’ambition de voir s’appliquer le Traité de libre-échange avec le MERCOSUR. Nul doute que nous sommes entrés dans un conflit opposant souveraineté et libre-échange. Les économistes savent qu’il s’agit d’un vieux débat.

 Thierry Pouch -  APCA